Economie

Bâtiment. Mohamed Hakim Belkadi : « ll est temps d’inventer un modèle marocain de durabilité architecturale’’

Mohamed Hakim Belkadi
Consultant architecte et expert en écosystèmes urbains prédictifs et des milieux interconnectés

L’architecture éco-responsable ou durable est de plus en privilégiée par des promoteurs immobiliers au Maroc, dans ce contexte de changements climatiques et d’urbanisation croissante. Dans cet entretien, Mohamed Hakim Belkadi, consultant architecte et expert en écosystèmes urbains prédictifs et des milieux interconnectés, nous explique ce concept et analyse ses perspectives dans le Royaume.

L’architecture éco-responsable, de quoi s’agit-il concrètement ?
L’architecture éco-responsable est bien plus qu’une pratique ou un choix esthétique : il s’agit d’une véritable approche systémique et prospective de l’acte de concevoir. Elle repose sur une vision holistique qui cherche à concilier les exigences techniques, économiques, sociales et environnementales d’un projet, en intégrant l’ensemble du cycle de vie du bâtiment, de la conception à la déconstruction. L’objectif central est de réduire au maximum l’empreinte carbone, tout en garantissant un haut niveau de confort, de santé et de résilience pour les usagers et les territoires.

Concrètement, cette approche mobilise plusieurs leviers : l’optimisation des ressources naturelles, par l’utilisation de matériaux locaux, recyclables ou biosourcés, et la limitation des déchets de chantier, la gestion passive de l’énergie, via une orientation intelligente des bâtiments, une isolation performante, une ventilation naturelle, et la valorisation des apports solaires.

Enfin, la récupération et la gestion raisonnée de l’eau, grâce à la collecte des eaux pluviales, le traitement local des eaux usées, des dispositifs d’irrigation intégrée dans les espaces bâtis, et aussi par la végétalisation des toits. Mais l’architecture durable ne se limite pas à des solutions techniques : elle anticipe les usages futurs, en s’appuyant sur les données, les modélisations numériques et les outils de l’intelligence artificielle.

Cette capacité d’adaptation en temps réel, que j’appelle «l’urbanisme prédictif», permet de concevoir des bâtiments et des quartiers résilients capables d’évoluer selon les besoins de leurs occupants, des saisons ou des crises. Dans un pays comme le Maroc, où l’urbanisation s’accélère, où le stress hydrique devient structurel, et où la vulnérabilité climatique est de plus en plus manifeste, cette approche devient une obligation stratégique.

Ce type d’architecture pourrait-il contribuer à accroître l’efficacité énergétique des logements au Maroc, ce secteur énergivore ?
Absolument. Le secteur du bâtiment est aujourd’hui l’un des plus grands consommateurs d’énergie à l’échelle nationale, représentant entre 25 et 30% de la consommation totale au Maroc. Cette situation s’explique notamment par la prédominance de constructions peu efficientes, mal isolées, souvent dépendantes de systèmes de climatisation énergivores, et déconnectées des dynamiques climatiques locales.

Dans un pays au climat contrasté, qui alterne entre fortes chaleurs estivales et hivers rigoureux dans certaines régions, cette inefficacité énergétique engendre à la fois un gaspillage de ressources et un surcoût pour les ménages.

L’architecture durable, lorsqu’elle est pensée prématurément et dès la conception, constitue une réponse efficace et structurante à cette problématique. Elle peut permettre une réduction de 40 à 50% de la consommation énergétique des bâtiments grâce à plusieurs stratégies complémentaires : l’isolation thermique performante, adaptée au climat local, qui limite les déperditions de chaleur en hiver et la surchauffe en été, une orientation optimisée du bâtiment, qui exploite au mieux les apports solaires et les courants d’air naturels pour un confort passif. Aussi, l’intégration d’énergies renouvelables, comme les panneaux photovoltaïques, les chauffe-eau solaires ou encore la géothermie de surface, et, surtout, l’emploi de systèmes intelligents de gestion de l’énergie.

Quels sont selon vous les obstacles à lever pour encourager le développement de l’architecture écologique au Maroc ?
Le principal obstacle est culturel et structurel. L’architecture durable nécessite une rupture avec les pratiques conventionnelles. Cela implique la refonte de tout l’écosystème par une formation accrue des architectes, ingénieurs, artisans et promoteurs aux nouvelles techniques, une refonte des normes de construction, encore très orientées vers le court terme, une synergie entre acteurs publics, privés et scientifiques pour faire émerger un écosystème d’innovation.

Enfin, un accompagnement des ménages dans la compréhension des bénéfices à long terme de ces bâtiments, parfois plus coûteux à la construction mais très rentables à l’usage. Il ne suffit pas d’ajouter quelques panneaux solaires sur un toit ou d’utiliser des briques écologiques : il faut revoir les logiques de conception, de production et d’usage des bâtiments dans leur ensemble.

Quel avenir pour l’architecture durable au Maroc ?
L’avenir de l’architecture durable au Maroc ne repose pas uniquement sur l’importation de modèles technologiques étrangers ou sur la généralisation de normes vertes standardisées. Il s’ancre, avant tout, dans une relecture critique et prospective de notre héritage architectural vernaculaire, celui des médinas, kasbahs, ksour, douars et villages amazighs, qui, bien avant l’avènement du concept de «développement durable», incarnaient déjà les principes fondamentaux de la durabilité : sobriété énergétique, intégration au climat, matériaux locaux, adaptation aux usages, régulation thermique naturelle et économie circulaire.

Face aux défis environnementaux, sociaux et climatiques, il est temps d’inventer un modèle marocain de durabilité architecturale, enraciné dans nos réalités culturelles et climatiques, tout en étant résolument tourné vers l’avenir. Mais l’avenir de l’architecture ne se limite pas à l’efficacité énergétique ou à la réduction des impacts : il s’ouvre désormais à une urbanisation régénérative, capable non seulement de limiter les dégâts, mais de réparer les milieux, de restaurer les écosystèmes, de réenchanter les usages de l’espace urbain.

L’architecture devient une interface sensible entre l’humain et son environnement. L’architecture marocaine peut ainsi devenir l’un des visages les plus inspirants de la transition verte en Méditerranée et en Afrique. À condition d’oser, d’expérimenter, et surtout de croire en nos propres ressources.

Elimane Sembène / Les Inspirations ÉCO


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