Culture

Expo photo à ne pas rater à Tanger : Sine Die de Zakaria Aït Wakrim

par Olivier Rachet

La librairie des Insolites de Tanger expose jusqu’au 2 septembre une série de photographies envoûtantes du jeune prodige de la photographie marocaine Zakaria Ait Wakrim.  Ce dernier a accordé au Site Info un entretien exclusif.

O.R : Vous êtes originaire de Casablanca et vivez, actuellement, à Malaga, en Espagne. L’exposition que vous consacre la librairie des Insolites à Tanger pourrait apparaître comme un retour aux sources. Or, les paysages marocains sont toujours restés l’un de vos terrains de prédilection. Quels rapports entretenez-vous avec ces espaces?

Z.A.W : Effectivement, on peut parler d’un retour aux sources. Je suis particulièrement heureux que ça soit à Tanger, une ville qui ne cesse de me surprendre culturellement. Il faut dire que certains paysages marocains m’ont beaucoup marqué.


Au-delà des hauts contrastes qu’on peut trouver, mêlant aride et montagneux, c’est surtout le grand vide qui m’a profondément touché. Je crois que notre conscience finit tôt ou tard par ressembler à ce qu’on a devant nos yeux.Il ne s’agit pas simplement d’une question esthétique. Avoir de vastes espaces devant soi est non seulement reposant, mais offre aussi une possibilité de développer une conscience de la vacuité et de la plénitude.

O.R :La série que vous exposez à Tanger s’intitule Sine die et traite de la perception que l’on peut avoir du temps. Si l’on traduit l’expression latine, il est question d’un rapport au temps indéfinissable puisque situé dans une ultériorité, un futur dont on ne sait s’il aura lieu. Pouvez-vous nous expliciter le choix de ce titre?

Z.A.W : Sine Die, locution latine largement utilisée dans le monde de l’administration et de la justice, fait ici référence à une certaine crainte, celle de savoir que je vivais dans un monde qui avait bien commencé sans moi, qui était déjà en marche, en route. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que, moi aussi, j’avais droit à un temps propre, qui avait commencé en même temps que moi.

Ma relation avec mon temps est ce qu’il y a de plus personnel. Ayant pris conscience de cela, ma relation avec la photographie commença à changer. De nos jours, je ne pense pas faire de la photographie pour immortaliser un quelconque instant. Bien au contraire, je cherche au mieux à le rendre mortel, à le mortaliser. Après tout ce n’est qu’un instant, un instant qui n’a aucune raison de survivre à lui-même, mais qui gagne en sens dans le tout et dans la continuité.

Je pense que la beauté des instants est justement là, dans le fait qu’ils rejoignent tous une autre parade de moments retenus dans le plus profond de la mémoire. Ces instants rendent compte de notre temporalité. On est scellés dans l’inexorable marche du temps. Les photographier n’est autre qu’une des nombreuses façons que l’on a de créer des traces tangibles de cette réalité dans laquelle nous sommes immergés.

Je perçois et entends la beauté dans notre capacité à recoller ces instants, à synthétiser notre tout, à coller ces émotions instantanées, donc à les sentir, tout court. La photographie fait prendre conscience du caractère éphémère de ces moments, qui passent du moment présent, et puis après un court laps de temps, au royaume du passé.

 O.R : A observer votre travail, on a l’impression que vous cherchez moins à capturer l’instant, à fixer son caractère fugace qu’à le délivrer d’une perception que l’on pourrait qualifier de banale.  Vous donnez à voir non la réalité mais un réel qui n’aurait jamais été perçu. A l’image de ce marabout semblant surgir de nulle part ou de cet espace désertique dans lequel des fosses semblent avoir été creusées. Accepteriez-vous que l’on qualifie votre travail de visionnaire?

Z.A.W : Je suis plutôt partisan de traiter la perception comme un phénomène actif et dynamique. Je cherche souvent à engendrer le doute, à créer une sensation qui peut dépasser le cadre de l’évidence, je cherche à stimuler la vision de telle sorte qu’on s’interroge sur la nature même de ce qu’on a devant nos yeux. Je citerai Merleau-Ponty et son positionnement par rapport à la perception : la perception est le primat de la connaissance. La perception est le sens premier de notre de rapport au monde. J’ai toujours voulu aborder le sujet.

O.R : L’impression d’irréalité qui se dégage de vos photographies résulte d’un parti pris esthétique. La technique infrarouge qui a votre préférence me paraît, cependant, beaucoup moins représenter une fin en soi qu’un moyen utilisé pour aboutir à une expérience voire une exploration de ce qu’est la lumière. Diriez-vous que votre recherche photographique comporte une dimension expérimentale? Les études d’ingénieur que vous avez suivies ont-elles eu, à cet égard, un impact sur votre travail? 

Z.A.W : Il est clair que j’ai lourdement été influencé par l’orthodoxie de l’ingénierie. J’ai toujours senti le lourd impact de la technique qui ne servait qu’à donner des réponses à toute une série de problèmes. De la même façon, je voyais que dans le milieu des arts visuels, on traitait certains éléments comme s’ils étaient canoniques par eux-mêmes. Je voulais à tout prix entreprendre toute une série de questionnement à travers l’expérimentation. Je ne voulais pas entendre parler de “ couleurs naturelles “, car le mot naturel me paraissait un bien grand mot pour le tromper avec une attitude humaine bien typique.

 

O.R : Plusieurs photographies de la série « Sine die » nous confrontent à un espace qui semble marqué par l’infini. On peut aussi bien voir un modèle contempler une mer de nuages qu’un autre personnage être comme aspiré par le vide vertigineux de l’espace. La part de cet infini mystérieux qui est en chacun de nous semble rejoindre ces espaces infinis dont le silence effrayait un philosophe comme Pascal. Comment analyseriez-vous cette dimension métaphysique de votre travail dans un monde qui vit, actuellement, une crise sans précédent de la spiritualité?

Z.A.W : Il me semble que visuellement, on peut très bien aborder ce sujet-là. Le simple fait de voir un élément humain, confrontant le statisme de l’horizontalité avec sa verticalité, aide déjà à créer cette tension.

Comme toute forme de quête spirituelle, je cherche à repositionner l’humain en tant qu’une partie du tout. Il s’agit là d’une contemplation du tout plutôt active, peut-être qu’après tout, la peur et l’angoisse ne viennent que d’une simple tromperie ?

L’humain, avec sa conscience, fait indéniablement partie du tout. Je cherche à nouer contact avec cette idée première. L’humain contemplant le caractère statique du lieu, mais tout en se sentant en communion. L’humain ne sachant plus où il commence et où il finit. L’humain comme partie du tout. Je pense qu’avec ce positionnement, naît une certaine paix, la paix de la communion avec ce qui nous entoure, en contrepoint avec justement celle de voir la perpendicularité de la chose.

O.R : Souhaitons que cette exposition fera connaître votre travail à un plus large public encore, notamment au Maroc! Pouvez-vous, en attendant, nous parler de vos projets actuels?

Z.A.W: En ce moment, je m’interroge beaucoup sur deux questions : le cancer et l’identité urbaine et rurale. Concernant la première, je voudrais voir si la photographie peut faire partie d’une quelconque forme d’accompagnement émotionnel du cancer, ainsi que d’une façon d’affronter et normaliser les situations que provoque ce fléau du XXI e siècle. Et pour ce qui serait de l’identité urbaine/rurale, je m’interroge beaucoup sur l’évolution urbaine, la construction de nouveaux quartiers aux abords de la ville…. Comment le monde rural accepte de voir ses territoires occupés par la nouvelle ville, le changement urbain dans sa totalité !

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