Maroc

Troubles mentaux au Maroc : où en est la loi ? (Exclusif)

Le projet de loi relatif à la lutte contre les troubles mentaux vient d’être présenté par le ministère de la santé. Décryptage.

Le 2 mai 2016, le ministre de la santé, Houcine El Ouardi, a présenté le tout nouveau projet de loi intitulé « Projet de loi n° 71-13 relative à la lutte contre les troubles mentaux et à la protection des droits des personnes atteintes de ces troubles » qui a été adopté, le 2 juillet 2015, par le conseil du gouvernement.

Suite à son exposé, il a émis le souhait que cette loi, d’une part soit globale sur la santé mentale et non pas dédiée uniquement aux soins et à la protection des personnes souffrant de troubles mentaux, et d’autre part qu’elle donne une place aux enfants souffrant de ces troubles.

Il a conclu son allocution en rappelant que cette loi est très coercitive, qu’il considère que ce n’est pas de cette façon qu’elle aidera au mieux les bénéficiaires de soins en psychiatrie, qu’il a à coeur de la faire passer et enfin qu’elle devait être portée par tout le monde et non pas par le seul ministère de la santé car elle concerne tous les Marocains.


Le Docteur Hachem Tyal, psychiatre et directeur de clinique psychiatrique nous livre, en exclusivité, son analyse de la question.

Que pensez-vous du projet de loi 71-13 évoqué par le ministre de la santé, Houcine El Ouardi, ce mardi 3 mai ?

Certains pays ont axé leur législation sur la mise en avant de la place d’une instance juridique spécialisée. D’autres ont choisi de mettre en place des instances administratives de contrôle indépendantes. Le Maroc a été en avance sur son temps quand il a promulgué son fameux dahir sur la santé mentale, le 30 avril 1959, qui continue à être appliqué de nos jours.

Il a fait le choix, quant à lui, d’une approche dite « paternaliste » dans la promulgation de son dahir s’appuyant sur la notion de meilleur intérêt du patient, tel qu’apprécié par le psychiatre. Cette approche est cadrée par un contrôle relevant des chefs des parquets près des cours d’appel ou des magistrats des parquets relevant de leur autorité. Le 2 juillet 2015, le conseil du gouvernement a adopté une nouvelle législation en la matière, le projet de loi 71-13. Dès qu’il a été présenté aux professionnels de la santé mentale, il a été totalement rejeté, considéré comme complètement désuet et très administratif, loin de la réalité du fait de la prise en charge de la maladie mentale. La sensibilité, l’expérience et l’expertise des professionnels de la santé mentale n’y transparaissent pas du tout.

Ce projet de loi n’améliorerait-il pas les droits des personnes atteintes de maladie malade ?

En réalité, il légifère essentiellement sur l’hospitalisation et les soins sans consentement concernant des patients souffrant de troubles mentaux, ce qui est en soi très important. Mais le reste des droits de ces personnes, qui auraient permis un véritable projet de loi sur la santé mentale, n’y est abordé que très succinctement. Compte tenu de l’importance du projet pour le pays, tous les psychiatres et pédopsychiatres du Maroc ont été invités par leurs associations respectives à donner leur avis sur celui-ci, à travers un collectif de leurs représentants. Une réflexion très importante a alors été menée par ce collectif et les services concernés du ministère de la santé, pendant près d’une année,  et a abouti à un accord sur un nombre important d’amendements aux articles de cette loi. Elle devrait être adoptée lors de la prochaine cession parlementaire de printemps, après sa discussion au sein des deux chambres. Avant cela, plusieurs réunions auront lieu entre les élus et les membres du collectif des associations de psychiatres et de pédopsychiatres, ainsi qu’avec les associations de parents et d’usagers.

Où en est concrètement ce projet de loi ?

La loi a été changée, en fait, de fond en comble, même le titre a été revu et corrigé,même s’il reste de petits désaccords sur quelque articles qui sont encore en discussion avec le ministère. Chose rare, notre ministère de la santé porte à bras le corps le projet d’amendements et compte le défendre comme tel au parlement.

Le problème c’est que, au niveau du parlement, s’il ne passe pas en totalité, ce serait un énorme écueil pour le traitement des troubles mentaux au Maroc, la loi devenant dès lors inapplicable. En effet, d’une part, beaucoup d’articles de la loi sont liés les uns aux autres et, d’autre part, les propositions d’amendements apportées constituent le minimum en deçà duquel la viabilité de la loi est impossible. Précisons ici que, sous l’impulsion de Monsieur le ministre de la santé lui-même, les équipes du ministère on fait un énorme effort pour construire tous les amendements de la loi, en collaboration étroite avec les membres des représentants des psychiatres et pédopsychiatres du pays.

De façon générale, comment définir la psychiatrie ?

C’est la discipline médicale qui s’occupe des maladies mentales. Elle étudie les maladies psychiques, détient les concepts et les autres outils de diagnostic et de traitement de ces maladies.

Quelle est la particularité de la psychiatrie parmi toutes les autres disciplines médicales ?

C’est qu’elle peut priver de liberté par une hospitalisation sans consentement, une prise de traitement obligatoire et/ou une restriction plus ou moins importante des droits et libertés individuelles comme celle de communiquer.

A cet égard, légiférer vous semble-t-il essentiel ?

Légiférer en la matière est impératif ! La législation fait partie du quotidien de tout praticien de la psychiatrie. La privation de liberté, à travers l’hospitalisation de malades mentaux sans leur consentement, pose une difficulté particulière. En effet, cette limitation des droits de la personne n’est pas seulement fondée sur des motifs de sanction pénale et de protection de l’ordre public, mais le plus souvent sur l’intérêt pour la santé du patient qu’il n’est pas nécessairement capable de discerner. Cette spécificité médicale se traduit par la multiplication des acteurs qui sont habilités à se prononcer sur la privation de liberté (juge, psychiatre, caïd, préfet, gouverneur, wali, …) ainsi que par la difficile articulation de leurs points de vue.

Quelle est l’histoire récente de la régulation médico-administrative-judiciaire dans le monde ?

Elle a considérablement varié à travers les époques, donnant une place plus ou moins importante aux garanties juridiques dont toute personne, même malade, est censée disposer, quand elle ne donne pas son consentement pour être hospitalisée. Les XIXe et XXe siècles ont été marqués par une logique que je qualifierais, avec d’autres auteurs, de « paternaliste », s’appuyant sur la notion de meilleur intérêt du patient, tel qu’apprécié par le supposé détenteur du savoir médical qu’était le psychiatre : « Je connais votre intérêt mieux que vous-même et je vais faire, en mon âme et conscience, ce que je sais qu’il faut faire pour vous soigner ».

Mais à notre époque, les malades ne bénéficient-ils pas bien davantage de garanties de leurs droits ?

La modernité a donné une place croissante aux garanties des droits de ceux qu’on a commencé à nommer les « usagers » de la psychiatrie, considérés de plus en plus dans les politiques publiques comme des « personnes vulnérables ». Le corollaire de cela est que la logique « paternaliste » prônée par le médecin psychiatre a de plus en plus laissé place à une « logique de droit ».

Pouvez-vous donner plus de détails sur ce changement, ce glissement d’une logique à une autre radicalement différente ?

Dans l’immédiat de l’après-guerre, la promulgation de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 a constitué la première pierre de l’élaboration de l’arsenal juridique actuel, en cadrant les conditions de privation de liberté et de soins spécifiques aux malades mentaux.

Mais cette déclaration n’a alors aucune valeur contraignante pour la psychiatrie…

C’est exact, mais elle est complétée, à la fin des années 1960, par de nouveaux outils un peu plus contraignants dont un en particulier a valeur novatrice en la matière. Il s’agit du protocole relatif aux droits civils et politiques, de 1966, qui contient des dispositions pouvant être appliquées aux malades mentaux soignés sans leur consentement.

Qu’évoquent exactement les articles de ce protocole ?

C’est justement à partir de l’article 9 de ce protocole que les déclarations des droits des personnes handicapées mentales de 1971 et de 1975 ont commencé à préciser des garanties juridiques contre les restrictions abusives de la liberté des malades mentaux.

Quelle est la position de l’ONU à ce sujet ?

Au début des années 1980, l’Assemblée générale de l’ONU déclare 1983/1992 « décennie pour les droits des personnes handicapées ». En 1983, la commission de la protection des minorités commande un rapport relatif à la protection des malades mentaux. Y sont dénoncées les graves violations aux droits humains exercées à leur égard. D’après ce rapport, beaucoup de personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques l’étaient pour des raisons uniquement politiques. Ce rapport a également voulu impulser l’adoption et la mise en place de standards de soin et de protection pour les personnes faisant l’objet d’une limitation de liberté au motif d’une maladie mentale ou de troubles psychiques. Le 17 décembre 1991, l’assemblée générale de l’ONU adopte des « principes pour la protection des personnes atteintes de maladie et pour l’amélioration des soins en santé mentale ».

Et la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées ?

Adoptée le 13 décembre 2006, elle est centrée sur le principe de non-discrimination et de traitement égal des personnes handicapées avec les autres, et ne mentionne pas les troubles de santé mentale parmi les motifs qui autorisent à priver une personne de sa liberté.

Propos recueillis par Gilda Bennani

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