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Un jeune chorégraphe libanais enflamme le Festival d’Avignon

Pour le dernier volet de sa trilogie consacrée aux rites funéraires dans la tradition chiite, le danseur-chorégraphe Ali Chahrour confronte le corps masculin à l’indicible souffrance. Rencontre avec un artiste prometteur.

Par Olivier Rachet

Le ton est donné dès les premières minutes d’une pièce dont le titre, « May he rise and smell the fragrance », résonne déjà comme une promesse de résurrection : un bruit assourdissant d’hélicoptères vient couvrir les psalmodies du texte coranique consacrées à la création de l’homme. C’est alors tout le bruit et la fureur du monde qui affleure sur le plateau.

Originaire de Beyrouth, Ali Chahrour connaît depuis son plus jeune âge les conséquences des différents conflits qui assaillent notamment le Sud-Liban. Depuis le déclenchement de la guerre en Syrie, ce sont des milliers de personnes qui ont trouvé refuge dans un pays marqué par les meurtrissures de l’Histoire. Au détour de la conversation, le chorégraphe évoque « la destruction de la poésie et de la beauté » qui caractérise, selon lui, la société contemporaine et revient sur l’image emblématique de la violence qui parcourt sa trilogie : « la figure d’une mère pleurant son enfant mort ». « Il n’y a pas d’image plus douloureuse », ajoute-t-il pudiquement.

Un tombeau pour les disparus

La pièce met en scène quatre protagonistes : trois hommes, dont le duo de musiciens électro-acoustique « Two or the Dragon », Ali Hout et Abed Kobeissy ; et une femme, la chanteuse et comédienne Hala Omra à propos de laquelle Ali Chahrour ne tarit pas d’éloges.  Le chorégraphe et l’un des musiciens se lèvent des sièges du premier rang, faisant face au plateau et au monde des morts que semble incarner ici le personnage féminin dont Ali Chahrour explique qu’il s’est inspiré, pour elle, de la déesse de la fertilité, de la vie, de l’amour physique et de la guerre, Ishtar, dans la tradition mésopotamienne. Ces hommes forment souvent un trio de soldats blessés ou de francs camarades esquissant un pas de danse. Tout l’art consiste ici à éviter une narration trop appuyée pour laisser émerger du symbolique.

Un tableau résume à lui seul toute l’intention de l’artiste : le chorégraphe est adossé à un bloc derrière lequel officie la déesse, l’un des musiciens utilise son archet comme un sabre s’apprêtant à égorger le danseur. « Là où est le plus grand danger, croît aussi ce qui sauve », écrivait en son temps le poète romantique allemand Hölderlin. La force du spectacle réside bien dans cette tension permanente entre la menace du sacrifice et la promesse d’une résurrection possible.

Un corps en souffrance

Alors que dans les deux premiers volets de la trilogie, « Fatmeh » et « Leïla se meurt », le chorégraphe s’intéressait davantage à la représentation souvent exacerbée de la douleur féminine, c’est ici à l’irreprésentable souffrance masculine qu’il s’attache. « Pour des raisons à la fois religieuses, politiques et sociétales, les hommes doivent cacher leurs émotions et garder une image de force et de dureté. Ils ne peuvent extérioriser leur douleur et c’est ce qui m’intéressait pour ce spectacle : mettre en lumière cette vulnérabilité, cette impuissance face à la mort », précise Ali Chahrour. « Les hommes, notamment dans les pays arabes, manquent le réel pouvoir qui est celui de la fragilité et de la tristesse », ajoute-t-il, tout en réserves.

Tout le travail chorégraphique, secondé par la dramaturgie de Junaid Sarieddeen, consiste à explorer les méandres par lesquels passe le corps de l’homme pour chercher à figurer une intimité le plus souvent interdite de représentation. Le corps se contorsionne, se fige parfois. Le danseur est pris de crampes ou de convulsions. Mais comme dans une lente expérience initiatique, le corps traversera les enfers de la souffrance. À la question de savoir pourquoi il a choisi la danse, Ali Chahrour répond : « Vous ne pouvez pas mentir avec votre corps. » Ce que l’enthousiasme des spectateurs semble avoir voulu confirmer. Pour l’heure, le chorégraphe prépare, en compagnie de son dramaturge, une nouvelle trilogie concernant l’amour et ses représentations. On attend avec impatience l’œuvre à venir.

Festival d’Avignon In. « May he rise and smell the fragrance » d’Ali Chahrour.


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