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Festival d’Avignon Off: un chorégraphe égyptien à découvrir !

Présenté au Caire en mars 2018, le spectacle de Mohamed Fouad intitulé « Without damage » est à l’honneur du Festival d’Avignon Off.

Par Olivier Rachet

Comme dans toute reconstitution policière digne de ce nom, des silhouettes de cadavres ont été dessinées à la craie sur le plateau. Lorsque débute la pièce, le chorégraphe et danseur est à même le sol et dessine autour de lui, à la craie aussi, un cercle qui semble autant l’emprisonner qu’il ne dessine la rotation même de la terre. Puis la verticalité succède à l’horizontalité et Mohamed Fouad fait la démonstration de toute la prouesse technique qui est la sienne. L’impression d’être pourtant sur le fil du rasoir ne nous quitte pas ; le danseur privilégiant des couloirs étroits pour esquisser le mouvement d’un corps toujours prêt à chanceler, peut-être sous l’afflux d’une balle perdue, allez savoir !

Une fausse interaction


C’est alors que la pièce opère un virage à 180 degrés. Le danseur interrompt sa danse et adresse au spectateur la liste de tout ce que le spectacle ne sera pas. « This is not about » scande anaphoriquement le début de chaque phrase et, en effet, il ne sera question ni de guerre, ni de Donald Trump ni du craquant du dernier morceau de poulet KFC. Le spectateur est alors mis à contribution. Si le spectacle doit continuer, il lui faudra payer de sa poche. La légèreté semble de mise, mais en filigrane, on comprend peu à peu qu’il s’agit de nous offrir en miroir le portrait d’une société dans laquelle non seulement tout se rétribue ou s’achète, mais où règne une corruption généralisée qui prend les faux airs du divertissement le plus inconséquent. Lorsque le chorégraphe invitera une spectatrice à le gifler, moyennant une maigre rétribution, le spectacle prendra la forme non d’une reconstitution policière mais d’un dévoilement de la façon dont la police s’immisce dans la vie de ceux qui en oublient le pouvoir arbitraire et, parfois, meurtrier.

Rendre visible le non-visible

Pas de dommages collatéraux puisqu’il s’agit, bien entendu, d’une pièce dansée. Mais la dialectique opposant le visible au non-visible, le licite à l’illicite, opère tout au long de la pièce. Les interdits sont d’autant plus forts qu’ils ont été intériorisés. Sous couvert de comédie, Mohamed Fouad nous parle de tous les sujets qui fâchent en terre d’islam et dans la plupart des pays arabes : du désir féminin – admirable seconde partie « plus sexy » avertit le danseur, épousant des poses timidement lascives ou se déhanchant avec une rare sensualité –, de l’homosexualité ou de la possibilité de s’embrasser simplement en public. Après que quatre des spectateurs eurent été invités à se coucher à l’emplacement des silhouettes de cadavres dont on comprend alors qu’elles n’avaient pour fonction que de tuer la possibilité même du spectacle – autre nom d’une censure qui ne dit pas son nom –, le chorégraphe s’assoit face au public, devant un écran où défilent en gros plans les plus beaux baisers de l’histoire du cinéma.

Le danseur se met à rêver à un happy end que la société patriarcale et répressive vers laquelle tout fait signe lui interdit de vivre. Puis, il raconte, en arabe, un souvenir personnel lié à son premier séjour en Europe. Son seul désir : embrasser en public. Alors que la représentation du Caire réalisait ce rêve d’adolescent, les spectateurs d’Avignon imagineront ce qu’un tel interdit recouvre. Absolument magistral !

Festival d’Avignon Off. « Without damage » de Mohamed Fouad, théâtre de la Manufacture, château de Saint-Chamand, du 16 au 24 juillet 2018.

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