Culture

Ali Chahrour, la trouvaille du festival d’Avignon

Par Olivier Rachet

Le jeune chorégraphe libanais, vivant à Beyrouth, présente deux créations, Leïla se meurt et Fatmeh, en lien avec le deuil et les rituels funéraires en cours dans son pays et dans l’islam chiite. Dans Fatmeh, il met en scène deux icônes artistique et religieuse, chères aux pays arabes.

 Pour l’occasion, le chorégraphe a fait appel à deux danseuses non professionnelles, la comédienne Yumna Marwan et la vidéaste Rania Al Rafei et rend hommage à deux figures majeures de la culture populaire dans le monde arabe. Celle de Fatima, tout d’abord, fille du prophète Muhammad dont les lamentations poétiques, écrites au VIIe siècle, sont récitées au cours de la pièce. Celle d’Oum Kalsoum, diva égyptienne des années 30, surnommée « l’Astre d’Orient ». Elle est, selon le chorégraphe, « une artiste majeure, qui chante l’amour, le sexe, la religion, la perte, avec passion. »

Des rituels funéraires où le corps s’exprime


Le soir de la première représentation, Ali Chahrour prit la parole et rappela le contexte tragique dans lequel cette pièce avait été créée et répétée. En l’honneur des victimes des attentats perpétrés à Beyrouth et plus récemment, à Bagdad et à Nice, une minute d’applaudissements fut demandée aux spectateurs.

La pièce s’ouvre alors paradoxalement sur un épilogue qui voit les deux danseuses, superbement belles, rester figées de douleur avant qu’elles ne se mettent à se frapper la poitrine de coups répétés. Rappelant en cela le rituel chiite de l’Achoura au cours duquel les corps se flagellent afin de célébrer la passion de Hussein, fils de Fatima et petit-fils du Prophète.

portrait_ali_chahrour_C_nadim_asfarConstruite autour de trois parties intitulées sobrement « L’Absence », « L’Impénétrable » et « L’Aimé », la chorégraphie explore ensuite la diversité des gestes et des postures pris lors des rituels funéraires. L’attention se porte alors sur la liberté avec laquelle les corps extériorisent leurs émotions. Au rituel incantatoire s’ajoutent des mouvements de tout le corps où la violence de la douleur rivalise parfois avec la sensualité du geste.

Le corps ondule et des mouvements giratoires répétés de la tête embrasent, à plusieurs reprises, le plateau. Les danseuses s’éloignent alors pour exprimer la solitude tragique du deuil et une extase paradoxale du corps qui semble se libérer des contraintes habituelles de la loi.

« Pendant les funérailles, écrit le chorégraphe, vous pouvez tout vous permettre corporellement, émotionnellement. Les hommes peuvent sangloter, les femmes enlever ou déchirer leurs voiles, crier, tomber et s’autoriser des mouvements et des attitudes corporelles excessifs. Donc la mort est le seul moment où le corps peut s’exprimer. »

Une esthétique du caché

La tristesse inconsolable se cache avec pudeur mais se montre aussi dans le plus profond désarroi, dans une dialectique du visible et de l’invisible, du dicible et de l’indicible, du verbe et du tabou, propre à la culture arabe.

Dans un entretien accordé, à l’occasion du festival d’Avignon, à Francis Cossu, Ali Chahrour revient sur la force de l’interdit et sur la possibilité de le déjouer. En évoquant les problématiques « du visible et de l’invisible, mastour et makchouf, de ce qui est permis ou ne l’est pas, de ce qui est dit ou tu (…), je parle d’esthétiques cachées, d’histoires couvertes, d’héritages masqués, mais aussi de la façon dont le corps peut ôter ces voiles métaphoriques et révéler de nouvelles réalités. »

RH2015_FATMEH_©Jad-Safar-2-960x641Fatmeh, au-delà des frontières, enchante durablement le spectateur par le recours au langage universel de la danse et à l’écriture chorégraphique. Réussissant à la fois le pari de rendre publics les signes culturels de la désolation et de révéler la vulnérabilité sensible de tout corps, quelle que soit l’aire géographique et historique à laquelle celui-ci appartient. Entre la tristesse et le néant, je choisis la tristesse. Un spectacle de toute beauté.

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