Maroc

Universités publiques : l’expansion face au défi de la qualité

La massification de l’enseignement supérieur au Maroc illustre une réussite démocratique autant qu’un défi national. Derrière le cap symbolique des 1,4 million d’étudiants, se profile une équation complexe : comment transformer cette dynamique d’accessibilité en véritable moteur d’innovation, d’employabilité et de développement territorial ? L’université, sommée de se réinventer, se trouve aujourd’hui à un tournant décisif.

Depuis deux décennies, le système éducatif a connu une expansion sans précédent, traduisant la volonté du pays de démocratiser l’accès au savoir. Mais derrière ces avancées se cachent encore de profondes fragilités qui interrogent sur sa capacité à relever les défis de l’avenir. Avec plus de 1,4 million d’étudiants inscrits, le Maroc a franchi un cap historique.

«La massification du système constitue une avancée majeure et traduit une démocratisation de l’enseignement supérieur. Ce mouvement répond à la fois à une demande sociale forte et à la dynamique démographique du pays», affirme Radouane Mrabet, professeur émérite de l’Université Mohammed V de Rabat, ancien président de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et de l’Université Mohammed V Rabat Souissi.

Cependant, cette croissance rapide met à rude épreuve les infrastructures et la qualité des formations. «Les facultés à accès ouvert, comme celles de droit, accueillent des effectifs pléthoriques dans des conditions souvent précaires», observe-t-il. La modernisation pédagogique, notamment l’intégration des outils numériques, peine à suivre le rythme. Parallèlement, le nombre d’établissements s’est multiplié, aussi bien dans le public que dans le privé. Mais ce dernier, encore marginal, n’accueille que 7% des étudiants. Par ailleurs, les disparités régionales demeurent criantes.

«De nombreuses villes comme Salé, Khouribga, Nador ou Ouarzazate ne disposent pas encore d’universités ou restent insuffisamment dotées», déplore Mrabet. Ces inégalités territoriales pèsent lourdement sur les étudiants issus des régions périphériques.

Employabilité et recherche, talons d’Achille
Certes, un élargissement de l’offre s’est opéré, mais il n’a pas suffi à répondre aux besoins du marché du travail. «De nombreux programmes restent trop théoriques et ne préparent pas suffisamment les étudiants aux compétences techniques et comportementales attendues par les entreprises», souligne l’universitaire. Résultat, le chômage des diplômés reste élevé, accentuant le décalage entre formation et emploi.

La recherche scientifique est une autre paire de manches. Elle souffre, elle aussi, de faiblesses persistantes. Le Maroc demeure loin des standards internationaux en matière de production scientifique et d’innovation technologique. «Le nombre de brevets reste faible, le financement est limité et la collaboration entre universités et secteur privé demeure embryonnaire», regrette-t-il.

Un point positif se dessine néanmoins, l’internationalisation croissante des universités. Les partenariats se multiplient avec des institutions étrangères, favorisant la mobilité étudiante et la double diplomation. «Même si ces accords restent timides et souvent dictés par les intérêts de nos partenaires, ils constituent un premier pas vers davantage d’ouverture», nuance-t-il.

Réformes inachevées et gouvernance fragile
Depuis l’indépendance, le Maroc n’a cessé de lancer des réformes de son système éducatif, avec l’ambition de renforcer son capital humain et de stimuler la recherche. Mais les résultats tardent à se concrétiser.

«Chaque nouveau ministre a souvent invalidé ou démantelé les politiques de son prédécesseur», relève Mrabet, pointant un manque de continuité et de cohérence.

La gouvernance constitue également un point faible. L’autonomie des universités demeure limitée, malgré des tentatives législatives pour la renforcer. La bureaucratie freine sa mise en œuvre, tandis que l’adhésion des parties prenantes fait défaut.

«Les désaccords syndicaux et politiques, notamment avec les enseignants, ont bloqué à plusieurs reprises les réformes», analyse-t-il. Sur le plan financier, les ressources demeurent insuffisantes. L’expansion du réseau universitaire, en améliorant l’accès aux établissements supérieurs, a provoqué une surcharge des campus et accentué le problème de qualité. Les ambitions en matière de recherche et d’innovation ne sont pas atteintes, tandis que les taux d’abandon demeurent élevés.

La complexité linguistique et culturelle
À ces contraintes, s’ajoute un facteur souvent sous-estimé : la question linguistique. L’enseignement supérieur oscille entre l’arabe et le français, ce qui complique la réforme. «Cette coexistence a souvent été source de tensions, freinant l’évolution du système», souligne Radouane Mrabet.

Au regard de ce diagnostic, l’universitaire estime que la crise du système ne tient pas à une seule faille, mais à «une combinaison de contraintes politiques, de gouvernance, de financement et de pédagogie». La voie à suivre, selon lui, repose sur une approche globale.

«L’avenir de l’enseignement supérieur marocain doit reposer sur le dialogue inclusif, un investissement adéquat et la continuité des politiques». Ainsi, le Maroc se trouve face à une équation délicate : maintenir la dynamique d’accessibilité, tout en élevant le niveau de qualité et de pertinence de ses formations. Plus que jamais, l’enseignement supérieur est appelé à devenir un levier stratégique du développement national.

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO


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