Culture

Rabat: Carte blanche à l’artiste Faouzi Laatiris

Par Olivier Rachet

erruasIntitulée « Volumes fugitifs », l’exposition s’organise autour d’une installation étonnante de Faouzi Laatiris, « Les Sept portes », en référence aux sept portes de la médina de Tétouan.

Le choix des portes renvoie tout d’abord à la démarche collective de cette exposition au cours de laquelle l’artiste s’associe à neuf de ses anciens étudiants dont les œuvres entrent en résonance les unes avec les autres. Se pose ainsi la question de l’héritage et de la transmission qui est au cœur de tout enseignement mais aussi de toute démarche artistique qui, dans le sillage des avant-gardes, interroge le concept même de modernité.

Mais si les sept portes font aussi penser à la ville mythique de Thèbes liée au sort d’Œdipe, fils du roi Laïos auquel un oracle avait prédit que la naissance de son fils causerait la ruine de la cité ; la mise en avant de cette installation rappelle surtout le destin historique d’une ville inséparable de Tanger. Alors que cette dernière est emblématiquement tournée vers le présent et le continent européen ; Tétouan se tourne davantage vers la tradition et l’héritage.

Morad Montazami, commissaire de l’exposition, rappelle à juste titre, qu’en raison de son ancien statut de capitale du protectorat espagnol, « Tétouan est en somme porteuse d’une mémoire particulièrement chargée en refoulements sociaux et en insurrections politiques, tributaire à la fois de l’échec de la République du Rif et d’un monde colonial avide de territoires à capter. »

Des artistes engagés

Dans une contribution adressée, en septembre 2000, à différents journaux marocains dans le but d’inciter au s'himirenouveau du système pédagogique des écoles d’art marocaines, Faouzi Laatiris lançait un « SOS Beaux-Arts » toujours d’actualité. « Un pays tel que le Maroc, écrivait ainsi l’artiste, du haut de ses douze siècles d’existence, de civilisations ancestrales, riche de par ses cultures du nord au sud, ce pays requiert la présence d’instituts des beaux-arts, et cela dans chaque ville-capitale de ses régions, pour former les jeunes artistes du futur, animés par la construction, le don de soi, le partage ».

Or le travail accompli par Faouzi Laatiris, à l’INBA, semble être l’un des principaux jalons de cette ambition jamais démentie. Beaucoup des œuvres mises en avant dans « Volumes fugitifs » témoignent de l’engagement de jeunes artistes pour lesquels le détour par la pratique artistique constitue le moyen le plus radical pour interroger les failles d’une société ou explorer les questions d’identité, d’héritage, à l’heure où la multiplication des réseaux sociaux semble nous enfermer dans un perpétuel présent déconnecté de l’épaisseur historique du Temps.

A l’image de la série « Monde (arabe) sous pression » de Batoul S’Himi, née à Assilah en 1974, composant à l’aide de bonbonnes de gaz et de cocottes-minutes une carte géographique inédite.

A l’image aussi de « Traveling » de Khalid el-Bastrioui, né à al-Hoceima, en 1985, construction d’un trône constitué de tabourets de cireur sculptés et peints.

A l’image enfin de Mustapha Akrim, né à Salé en 1981, lequel porte son attention sur le monde du travail et l’évolution de la classe ouvrière marocaine, à une époque où triomphe un libéralisme débridé modifiant les rapports de production.

L’œuvre intitulée « No work » brandit, sous la forme d’un assemblage de matériaux usagers non recyclés, un mot d’ordre dont on se demande s’il constitue une revendication anarchisante ou s’il nous éclaire sur l’obsolescence programmée des objets de consommation qui pérennisent une forme d’aliénation propre au monde du travail.

Une publication inédite

A l’occasion de cet évènement, qui donnera lieu à une seconde exposition qui clôturera l’année 2016, les éditions Kulte publient un superbe ouvrage en trois langues (arabe, français, anglais) consacré à Faouzi Laatiris et à l’INBA. Bien plus qu’un simple catalogue, le livre se présente comme un véritable livre d’art répertoriant, d’un côté, les différentes œuvres exposées au musée d’art moderne, et proposant d’autre part, une présentation des artistes associés et toute une série de contributions inédites.

On citera entre autres le texte composé en 1999 par Jean-Louis Froment à l’occasion de l’exposition « L’objet désorienté au Maroc », au musée des Arts décoratifs de Paris. Evènement auquel ont participé plusieurs artistes dont Batoul S’Himi, Younès Rahmoun, artiste iconoclaste né à Tétouan ou Safâa Erruas dont le musée Mohammed VI nous propose plusieurs œuvres à la fois dérangeantes et envoûtantes.

A l’instar des ces 55 oreillers en tissu blanc piqué de verres, d’aiguilles, de fils métalliques et de pétales de roses composant une sorte de clavier mural, toile de fond de nos rêves enfouis et de nos blessures à fleur de peau.

Ou encore de ces « Ruines », ornements de plâtre cassés, fils métalliques, aiguilles et épingles qui semblent maintenir les survivances du passé dans un état de coma dont on se demande s’il est ou non artificiel. Si comme on le dit souvent, la plus belle tâche de l’artiste est d’enchanter le monde, l’exposition « Volumes fugitifs » met à l’honneur plusieurs générations d’artistes réanimant à la fois un passé enfoui et un présent encore sous tension. Admirable !


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