Culture

Hicham Berrada, l’alchimiste du temps, expose à Casablanca

La Galerie CulturesInterface, à Casablanca, présente jusqu’au 19 novembre la première exposition personnelle, au Maroc, du jeune prodige casablancais, passé maître dans l’art de la performance. Ancien pensionnaire de la Villa Médicis, à Rome, Hicham Berrada a eu l’honneur d’être exposé au Palais de Tokyo à Paris, en 2013. Il a reçu le prix de l’artiste francophone lors de la dernière Biennale de Lyon.

Par Olivier Rachet

Intitulée Ellil, l’exposition propose différentes installations et vidéos laissant éclore tout le talent de l’artiste. Le titre fait référence à l’installation Mesk Ellil composée d’une cinquantaine de plants de Cestrum Nocturnum, plus couramment appelés « Galants de nuit », baignés dans un éclairage clair de lune afin d’en faire germer les fleurs parfumées. Le spectateur pénètre dans un jardin recomposé dont la lumière artificielle n’a d’égale que la profondeur de parfums qui, pour reprendre les mots de Baudelaire dans « Correspondances », « chantent les transports de l’esprit et des sens. »

Chimiste de formation, Hicham Berrada élabore toujours en amont des protocoles chimiques ou physiques d’une grande sophistication afin de laisser la nature agir en révélateur de phénomènes visuels qui échappent à l’emprise de l’homme. Les œuvres semblent alors s’écrire d’elles-mêmes comme dans une vaste hallucination de tous les sens. « J’essaye de maîtriser les phénomènes que je mobilise comme un peintre maîtrise ses pigments et pinceaux. Mes pinceaux et pigments seraient le chaud, le froid, le magnétisme, la lumière. » Ce ne sont pas de simples œuvres que le spectateur est invité à contempler mais une expérience synesthésique qu’il s’agit de partager.


Creuser le temps

Les œuvres présentées par la Galerie CulturesInterface enchantent d’autant plus qu’elles révèlent les potentialités démiurgiques qui sont celles d’un artiste défiant ici le temps et la nature naturante. L’installation intitulée « Mon château » est ainsi constituée d’un château de carte en acier plongé dans un aquarium dans lequel est activé un processus chimique complexe accélérant l’oxydation de la pièce. D’une durée éphémère – quatre siècles avant que ne disparaisse cette réminiscence de nos rêves d’enfants – l’œuvre est déjà entrée dans un processus de décomposition qui nous rappelle combien peuvent être implacables les lois de la nature.

D’un autre côté, la vidéo intitulée simplement « Les fleurs » nous montre une fleur grasse hérissée de pics dont les particules de limaille de fer vont en se dispersant lentement. Le temps est ici comme distendu, freiné dans son inexorable course. L’artiste met en exergue une citation de Strindberg évoquant la beauté invincible des végétaux mais on songe aussi à ce propos du poète romantique Goethe : « Arrête-toi, instant, tu es si beau ! »

Une irradiation de l’instant

L’exposition fait aussi la part belle à des techniques visuelles dans lesquelles s’accomplissent des processus chimiques ou naturels dont la beauté plastique dépasse la simple préparation scientifique. Fruit de sa résidence à la Villa Médicis, la vidéo intitulée « Les oiseaux » propose un plan fixe du parc attenant à la Villa. La prise de vue nocturne nimbe ce lieu mythique d’un mystère insondable contrebalancé par la projection d’un intense halo lumineux autour duquel viennent tournoyer des oiseaux dont les ailes semblent composer un essaim de signes d’une incroyable beauté. La série « Paysages » composée de plaques chromatographiques sur lesquelles ont été versés différents produits chimiques laisse agir le potentiel créatif des couleurs elles-mêmes, comme si le sublime s’écrivait dans la nature sans que la main invisible de l’homme n’ait eu à s’immiscer.

La dimension spirituelle, pour ne pas dire mystique, de ce travail instille un durable sentiment de sagesse apaisée, d’ataraxie, comme si à travers des processus chimiques d’une grande élaboration, l’artiste nous donnait à voir une nature non créée mais éternellement créatrice. Nulle instance ne semble présider aux phénomènes qui naissent et renaissent en permanence d’eux-mêmes, comportant en eux leur propre fin. Angelus Silesius, poète et mystique allemand du 17e siècle, déjà observait que la rose était  « sans pourquoi. Elle fleurit parce qu’elle fleurit, elle ne se soucie pas d’elle-même, elle ne se demande pas si on la voit. »

« Présage » : une leçon de physique épicurienne

En complément de cette magnifique exposition, l’Institut français de Casablanca a présenté, vendredi 14 octobre, « Présage », une performance d’Hicham Berrada, accompagné du musicien Laurent Durupt. Les deux artistes sont assis en tailleur devant les spectateurs. Face à eux, deux petits aquariums dans lesquels vont être menées leurs expérimentations visuelles et sonores. Hicham Berrada diffuse, sans aucune improvisation, des condensés chimiques qui sont simultanément projetés sur un écran. Laurent Durupt utilise tour à tour pipettes, grelots et autres instruments minuscules afin d’accompagner un processus de création qui, là encore, laisse agir les solutions chimiques de son acolyte.

Se dessinent sous nos yeux et nos oreilles aux aguets les premiers signes, toujours renaissants, de la création du monde. Des solides sont jetés dans l’aquarium d’où germe, en fonction des produits chimiques versés, toute une flore inconnue. Des lignes se tracent, des boutons éclosent. La nature ici perturbée et contrainte à produire du mouvement éclate dans toute la splendeur qui peut être la sienne. On croirait assister à la chute des atomes dans la physique du philosophe Epicure qui imaginait déjà, dans l’Antiquité, que le mouvement se produisait lorsque les atomes composant l’univers finissaient par se rencontrer. Déterminisme total de nos flashs, de nos coups de cœur, de nos effondrements.

Les paysages visuels et sonores orchestrés ici sont autant de tableaux d’une nature en expansion continue. La beauté côtoie parfois aussi le sordide. L’eau se trouble, les éléments chimiques se décomposent comme se fanerait une fleur ou s’éroderait un métal. Des blocs se détachent parfois, s’effondrent. Les lois de la nature sont implacables. Les philosophes et les poètes épicuriens déjà le savaient : la beauté et tous les plaisirs du monde sont d’autant plus sensibles que la mort nous fait face, que le monde toujours menace de s’écrouler devant nous. Admirable !

O.R.

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