Hassan Sentissi El Idrissi : “Le secteur nécessite la mise en place de mesures incitatives”

Hassan Sentissi El Idrissi
Président de la FENIP
Hassan Sentissi El Idrissi, président de la FENIP, revient sur le potentiel de croissance du secteur et sur l’approvisionnement en matières premières. Il met également en exergue les opportunités à saisir en matière d’export, en dehors des marchés traditionnels, ainsi que l’appui de la FENIP aux entreprises du secteur.
La question de la transformation à haute valeur ajoutée se pose toujours avec acuité pour les produits agroalimentaires. Quel serait, selon vous, le potentiel de croissance du secteur, s’il était mieux valorisé ?
La valorisation des produits de la mer, de par leur transformation en produits à haute valeur ajoutée, représente un levier essentiel pour le développement économique du secteur. En 2024, ce dernier a connu une production de 525.241 tonnes de sardines, en baisse par rapport à l’année précédente, mais avec un potentiel de récupération, grâce à une meilleure valorisation.
La diversification des produits, tels que les conserves, semi-conserves et les produits surgelés, peut considérablement augmenter la valeur ajoutée par unité. Par exemple, les exportations de produits transformés représentent une part significative des revenus, avec une contribution de 35% des exportations alimentaires et un chiffre d’affaires de 27,3 milliards de dirhams (MMDH). La stratégie de transformation et d’innovation pourrait ainsi accroître les recettes globales, améliorer la balance commerciale et créer des emplois, notamment dans les régions côtières où le secteur joue un rôle crucial.
De plus, le marché local ouvre des perspectives très intéressantes pour le développement de produits transformés. Cela nécessite une plus grande promotion des produits de la mer transformés sur le marché local, tout en sensibilisant les consommateurs à leurs qualités nutritives ainsi qu’au respect de la sécurité alimentaire. La FENIP encourage le développement et la promotion de la consommation locale des produits de la mer transformés. Elle incite les entreprises à innover et à diversifier leur offre afin de répondre aux besoins du marché local, tout en assurant une qualité irréprochable. La transformation locale permet non seulement de réduire la dépendance aux importations, mais aussi de stimuler l’économie nationale et de créer des emplois durables.
Quel regard portez-vous sur l’approvisionnement en matières premières et sur la qualité des produits fournis aux industries de transformation ?
Il faut signaler que les débarquements au niveau mondial, en poisson pêché en mer, connaissent une stagnation depuis une vingtaine d’années. Cette tendance ne peut que se confirmer dans l’avenir pour le Maroc. En effet, les années glorieuses d’augmentation continue des débarquements de la pêche, que nous avons connue ces dernières décennies, ne peuvent que s’estomper. L’approvisionnement en matières premières de qualité est un défi constant pour l’industrie. En 2024, le pays a enregistré des débarquements de 1.178 kilotonnes de poissons, dont 86,5% étaient des pélagiques.
Cependant, la disponibilité des ressources reste fluctuante, comme en témoigne la baisse (-22,14%) de la production de sardines en 2024. La FENIP met l’accent sur le respect des normes internationales pour garantir la qualité des produits transformés et maintenir la compétitivité du secteur sur les marchés internationaux. En collaboration avec l’Institut national de recherche halieutique (INRH), des initiatives sont mises en place pour améliorer la gestion des ressources et optimiser la chaîne d’approvisionnement. La production aquacole pourrait également offrir une source d’approvisionnement intéressante pour l’industrie de transformation.
Cependant, cette production reste embryonnaire, passant de 600 tonnes en 2017 à 1.100 tonnes en 2021. Cela s’inscrit dans un contexte mondial où l’aquaculture constitue plus de 56% de la production halieutique totale, avec une stagnation de la production de la pêche de capture, se situant aux alentours de 91 millions de tonnes par an en moyenne. On observe une tendance à la hausse de l’aquaculture, qui devrait atteindre environ 112 millions de tonnes d’ici 2030 selon la FAO.
L’aquaculture au Maroc fait face à des défis tels que le financement insuffisant, la rentabilité des investissements et une réglementation parfois inadaptée. Le littoral marocain, souvent houleux, rend l’aquaculture plus difficile. Les zones protégées ne reçoivent pas toujours une attention suffisante, par exemple la baie de Oualidia, Moulay Boussalham, Marchica, etc.
Sur le plan de l’export, quelles sont les opportunités à saisir en dehors des marchés traditionnels ?
Les marchés traditionnels, tels que l’Union européenne, restent essentiels, mais la diversification est indispensable pour la croissance. En 2023, la FENIP a identifié des opportunités significatives sur les marchés africains et nord-américains, en particulier au Canada et aux États-Unis, où les produits de la mer marocains sont de plus en plus appréciés pour leur qualité. Par exemple, la demande pour des produits innovants et adaptés aux préférences locales offre un potentiel de croissance substantiel.
La participation à des salons internationaux et des webinaires a permis de sensibiliser les entreprises aux exigences spécifiques de ces nouveaux marchés, facilitant ainsi leur accès et leur intégration. Les produits aquacoles quant à eux nécessitent une amélioration de la compétitivité et de la qualité, incluant l’amélioration des normes, la certification des produits, la recherche de nouveaux marchés et la participation à des salons internationaux.
La diversification de la production aquacole est essentielle pour répondre à une gamme plus large de demandes sur les marchés internationaux et réduire la dépendance à l’égard d’une seule espèce ou d’un seul marché.
Quels sont les défis et les opportunités pour l’exportation de produits de la pêche marocains ?
Les principaux défis incluent la concurrence accrue des pays asiatiques et les exigences croissantes en matière de durabilité et de traçabilité. Néanmoins, les produits marocains bénéficient d’une réputation de haute qualité, soutenue par des certifications rigoureuses.
En 2024, les exportations ont généré environ 8% des exportations totales du pays, témoignant de l’importance stratégique du secteur. Les efforts pour améliorer les infrastructures logistiques et les technologies de transformation, ainsi que pour adopter des pratiques de pêche durables, sont essentiels pour capitaliser sur les opportunités offertes par les marchés internationaux.
Délaisser la stratégie de transformation industrielle low cost, profiter d’une main-d’œuvre bon marché, de l’abondance des produits pélagiques et de l’orientation vers le soutien aux innovations technologiques et aux projets de développement durable, reste une priorité pour maintenir la compétitivité du secteur. Le secteur nécessite la mise en place de mesures incitatives à l’instar des subventions et avantages accordés au secteur agricole pour booster la valorisation, l’innovation et l’exportation.
Dans le cadre de notre démarche visant à adresser les défis cruciaux de l’industrie de transformation des produits de la mer, nous proposons la création d’un contrat-programme entre notre fédération et le ministère de la Pêche et celui de l’Industrie et du Commerce, établissant ainsi un partenariat solide et un engagement mutuel en faveur du développement durable et équilibré de l’ensemble de l’industrie.
Comment la FENIP concrétise-t-elle son appui aux entreprises du secteur ?
La FENIP renforce de manière active son rôle d’accompagnement des entreprises opérant dans la transformation et l’exportation des produits de la mer, en s’appuyant sur plusieurs leviers. D’abord, par le développement des compétences : en 2023, près d’une dizaine de sessions de formation et de webinaires ont été organisés par la fédération.
Ces actions ont porté sur des thèmes clés comme la traçabilité, la qualité des produits, l’innovation technologique et les stratégies d’accès aux nouveaux marchés. Ensuite, par des partenariats structurants visant à stimuler l’innovation et la recherche appliquée à travers une convention qui a été signée avec l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (IAV Hassan II) pour accompagner les entreprises en matière de recherche, d’innovation et de développement de projets de valorisation.
La FENIP a également renforcé sa collaboration avec l’Institut national de recherche halieutique (INRH). Ensemble, ils ont lancé un Appel à manifestation d’intérêt (AMI) destiné à identifier et accompagner les entreprises porteuses de projets innovants dans la valorisation durable des ressources halieutiques, notamment à travers l’exploitation des coproduits.
Qu’en est-il de la promotion ?
La fédération pilote aussi plusieurs initiatives d’envergure faisant partie de la feuille de route triennale de promotion, fruit d’un partenariat avec le ministère de l’Industrie et du Commerce et l’Agence marocaine de promotion des investissements et des exportations (AMDIE), pour ouvrir de nouvelles perspectives à ses membres, à commencer par Seafood 4 Africa.
Cet événement, également connu comme le Forum halieutique africain, est organisé à Dakhla, au Sud du Royaume. Cette initiative vise à positionner le Maroc en tant que plateforme régionale d’exportation et de transformation halieutique à destination des marchés africains.
À travers Seafood 4 Africa, la FENIP soutient la coopération Sud-Sud, promeut les échanges commerciaux interafricains et accompagne les entreprises dans leur implantation sur ces nouveaux marchés. Signalons aussi le Forum halieutique, organisé à Casablanca, qui est une autre initiative de la FENIP traitant spécifiquement des enjeux de durabilité dans le secteur de la pêche et de la transformation. Ce forum est un espace de réflexion pour promouvoir une pêche responsable, encourager la valorisation durable des ressources et sensibiliser aux défis environnementaux et économiques futurs.
La FENIP travaille activement sur des emballages alternatifs économiques à la boîte métallique pour la conserve de poisson. Cette initiative vise à réduire les coûts de production tout en répondant aux attentes des consommateurs en matière de durabilité et d’innovation. Parallèlement, la fédération continue de promouvoir la consommation locale des produits de la mer transformés, soulignant l’importance du marché intérieur comme levier de croissance économique.
Enfin, la FENIP poursuit son action pour améliorer l’accès aux financements adaptés, notamment à travers la création d’un crédit maritime, et milite pour la signature d’un contrat-programme sectoriel ambitieux avec les autorités publiques. L’objectif est de soutenir les investissements innovants, d’accélérer la transition vers une production durable et de renforcer la compétitivité internationale des opérateurs marocains.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO






