Chroniques

Pourquoi Abdelillah Benkirane doit partir

Par Driss Jaydane

D’abord, parce que la Politique suppose, quoiqu’on en dise, une forme de noblesse. A ce titre, Abdelillah Benkirane n’a pas été digne d’une nouvelle constitution qui, élargissant son champ d’action, lui commandait, historiquement et politiquement, un sens accru, et nécessairement plus élevé de sa responsabilité de premier Chef de Gouvernement.

Abdelillah Benkirane aura, pour seule manière d’inaugurer cette charge, permis que le parlement devienne l’endroit où sévissent l’anathème, la démagogie; le lieu dont une femme, journaliste, aura été chassée, parce qu’elle osait porter une robe… Le lieu, encore, où, en pleine séance, sortie de la propre bouche de ce même Abdelillah Benkirane, pourtant responsable devant une constitution qui consacre enfin la langue et la culture amazigh, on aura entendu un propos moqueur sur le sens trop prononcé de l’économie de nos épiciers, qui ne sauraient être que berbères…

Et si nous introduisions notre Darija à des fins de rapprochement avec le peuple, chose heureuse, le Chef de Gouvernement aura aussi permis que proximité et vulgarité se confondent. Faisant qu’une parole politique, désormais audible par l’Homme de la Rue, devienne le langage des rues. Le mien est plus grand que le tien… !

Et s’il fallait parler, un peu de la vie de ces gens, dont Abdelillah Benkirane dit qu’il ne travaille que pour eux… Que peut en vérité cette classe dite moyenne avoir gagné de la vision d’un tel homme ? Cette classe qui l’aura mis là où il est ?

Au fond, rien. Si ce n’est une politique ultra-libérale, destinant l’éducation à n’être désormais que payante, pour être bonne.

Rien, sinon des enseignants-stagiaires trompés, insultés, puis matraqués.

Rien, encore. Sinon des femmes, les unes comparées à des lustres… Vouées à la reproduction. Les autres, chantres d’une modernité importée et frappées d’impudeur ! Des femmes que par un affreux discours démagogique, l’actuel Chef de Gouvernement, au fond, proposent aux catégories du Vice, ou de la Vertu. Il a, sur ce point, largement infecté l’imaginaire féminin de ce pays, distillant une hypocrite bigoterie qui autorise certaines, à se trouver plus vertueuses que d’autres… Faisant qu’en face, d’autres se jugeant plus modernes, renvoient leurs propres compatriotes à leur archaïsme. Alors qu’au fond, leurs fragilités, leurs combats, sont fondamentalement les mêmes. Il appartient aux femmes de ce pays de dire au piège tendu par l’actuel Chef du Gouvernement qui ne fait que les diviser sur des questions accessoires, les empêchant ainsi, toutes, de s’unir sur l’essentiel, à savoir qui touche à leurs droits, qui sont loin d’être les leurs !

Rien, donc.

Ou plutôt si, une réforme de la Caisse de Compensation qui, en vérité, condamne les plus pauvres d’entres nous à s’inventer une façon de se nourrir qui n’est pas une manière de manger à sa faim.

Alors que cette institution, cette Caisse, certes, avec ses difficultés, nous permettait d’être une économie libérale de marché et un Etat social, capable de prendre en charge l’essentielle question de la vulnérabilité des miséreux, fondement humain et moral de toute politique économique qui se respecte. Et s’il fallait puiser, sérieusement dans notre référentiel musulman, rappelons que l’Islam n’aime pas la misère pour ce qu’elle engendre de colère et peut provoquer de violences.

Mais l’Ethique musulmane ne semble pas être, sur le terrain de l’économie, le problème de Abdelillah Benkirane. Ni sur aucun autre, d’ailleurs. Moins encore celui, déterminant, du vivre-ensemble. Ainsi la société marocaine, alors qu’elle traverse une mutation profonde, transformation qui la rend tant ouverte aux possibles, que disponible aux peurs, ne peut accepter, sans demander des comptes, que l’incitation à la révolte et qu’un discours assumé de la guerre, lui soit proposés par un homme en proie à ses démons idéologiques.

En nous menaçant du haut de son « Vous ne connaissez pas notre culture », en évoquant la possibilité de faire, s’il le fallait, couler le sang, Abdelillah Benkirane n’aura fait qu’abattre réellement ses cartes d’homme totalement acquis à la violence. A la guerre, comme seul moyen de conserver le pouvoir. Au cas où ce dernier venait à lui échapper.

Il n’a sur ce point rien à envier aux néo-conservateurs américains, qui, citant Gog et Magog, ont déclaré une guerre qui n’en finit pas… à l’Islam.

Rien non plus à envier à la passion folle du fascisme italien pour la violence, seule vraie accoucheuse de l’Histoire.

On comprend alors une chose, essentielle, sur Abdelillah Benkirane: cet homme en vérité est tout, sauf un traditionnaliste. Il s’inscrit, au contraire, dans la droite ligne des conservateurs en ce qu’ils ont de brutal, et de démiurgique. Le Monde doit à ces hommes sectaires, portés par leurs vérités meurtrières, le chaos irakien, entre autre chose. Non, jamais les conservateurs ne furent ni ne seront des traditionnalistes.

Les vrais traditionnalistes ont ceci d’essentiel qu’ils n’aiment pas l’odeur du sang humain. Car la Tradition interdit la violence. Elle tisse du lien, La Tradition est ce génie de durer, par la transformation heureuse, et dans la paix. Elle est, pour chaque marocaine, pour chaque marocain, quel que soit leur âge, un précieux héritage. La Tradition traduit l’époque, lui donne du sens.

A ce titre, Abdelillah Benkirane a su duper des marocains sincères, parce qu’ils ont cru voir en lui le tenant d’une tradition dont il a su, de façon machiavélique, usurper les traits. Et pervertir la vérité. Mais son dernier appel à la guerre fratricide entre gens d’un même peuple, constitue le moment où il s’est dénoncé lui-même.

Un vrai traditionnel appelle à la paix, ce qui n’exclut pas l’opposition, mais interdit la division qui construit les haines dont notre pays ne veut pas.

A ce titre, il n’est pas vain, et même utile, de dire à ceux qui voteront pour le Parti de la Justice et du Développement, qu’il y a, dans ce parti, des femmes et des hommes qui valent bien mieux que leur chef actuel. Mais qui ont dû, eux aussi, comme bon nombres de Marocains, se laisser abuser par un homme tantôt menaçant, tantôt pleurnichard… Toujours diviseur.

Nous ne sommes obligés de penser que les membres du PJD pensent de la manière dont doivent être conduites les affaires de notre pays. Et il se peut que nous ayons à nous affronter, nous opposer, sur des questions qui transformeront considérablement l’avenir de notre pays.

Mais nous devrons le faire avec, à l’esprit et au cœur, le profond désir de nous respecter, de construire ensemble une société juste, prospère, une société décente, qui éduque, protège, crée du lien, fabrique le Commun qui ne rend les différences que plus belles. Un Maroc où l’on ne montre pas l’autre du doigt. Et où chacun aura sa place.

A cause de la violence qu’il prône, et de la division qu’il espère, il semble que Abdelillah Benkirane se soit lui même éjecté de ce Maroc que, tous, nous appelons de nos vœux. A ce titre, il doit partir. Et ne jamais revenir en politique.

Et enfin, alors que nous votons dans quelques jours, puissions-nous traverser la période qui s’annonce dans le respect de ce que nous sommes. Et continuer de vivre, tous, ensemble, dans la paix.


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