Chroniques

Jeûner ou ne pas jeûner… that is the question

Par Jalil Bennani, psychiatre, psychanalyste 

Commençons par une anecdote. Lors d’un mois de ramadan à Rabat, il y a plusieurs années, je participais à un colloque de psychanalyse. Alors que l’interdiction de boire, manger et fumer en public était de mise, un collègue tunisien a allumé une cigarette. Après quelques secondes de silence, les discussions ont repris spontanément. Les jours suivants, lorsque notre ami a repris une cigarette, la scène est passée presque inaperçue. Qu’est-il arrivé au juste ?

Certaines personnes présentes savaient que ce « déjeûneur » n’était pas Marocain, tandis que d’autres l’ignoraient. Ceux qui l’observaient de l’extérieur de notre salle de réunion, ne connaissaient pas non plus sa nationalité. Pourtant personne ne l’avait inquiété, questionné, jugé ou condamné. Précisons les choses. Un Marocain qui rompt le jeune en public est passible de poursuites judiciaires. Ce n’est pas le cas d’un Tunisien, libre dans son pays de ne pas jeûner sans que la justice s’en mêle.

Comme tout étranger séjournant au Maroc, il jouissait de cette même liberté. Cependant, dans le doute sur sa nationalité qui avait traversé une partie de l’assistance, n’osant pas questionner, n’osant pas juger, un sentiment d’étrangeté s’était fait ressentir. Il faut dire toutefois qu’à cette époque même les Marocains qui ne jeûnaient pas étaient rarement inquiétés et encore moins harcelés. Face à leur libre choix, il n’appartenait qu’à eux d’observer le jeûne ou pas.


Aujourd’hui, les choses ont changé. Un vent de conservatisme souffle sur la société. Et pas seulement sur la nôtre. Face aux humiliations, aux crises, aux revendications citoyennes, la religion est devenue une identité à part entière, quand ce n’est pas une idéologie.

Parmi les jeûneurs, beaucoup ne supportent pas ceux qui ne jeûnent pas. Le respect vis-à-vis de l’étranger demeure, à condition qu’il se garde d’être trop voyant au risque d’apparaître comme un provocateur. Paradoxalement, dans ce cas, la nationalité prime sur la religion. La réaction n’est cependant pas la même vis-à-vis de l’étranger arabe –Tunisien, Libanais ou Palestinien par exemple – que de l’étranger européen. Le premier est supposé nécessairement musulman, le second chrétien. Mais parfois ce respect n’est qu’apparent. Il peut cacher des attitudes de rejet ou tout simplement des craintes de poursuites des autorités si l’on venait à inquiéter l’étranger.

De nombreuses frustrations existent durant la durée du jeûne. Elles préexistent même à la période du ramadan. Elles s’expriment alors sous la forme de laisser-aller, de violence et d’incivisme totalement contraires à la spiritualité devant caractériser cette période.

On se retient quand il s’agit de l’étranger, on l’ignore ou on l’exclut. Mais on se venge de ses propres manques sur ceux que l’on considère comme ses semblables. Le jeûne génère des privations alimentaires, toxiques ou sexuelles. La journée permet d’exhiber ces manques, le jeûne venant justifier des comportements condamnables en dehors du ramadan. Le soir venu, l’abstinence laisse place au défoulement. Que reste-t-il de la spiritualité ? De bien rares espaces intérieurs.

On se rappelle les polémiques de ces derniers temps suscitées par des justiciers de la morale traquant des homosexuels et des sorcières. La même logique ne préside-t-elle pas aux dénonciations des non-jeûneurs ? Ils deviennent délateurs ou se substituent aux responsables des institutions.

Nulle considération pour le travail exténuant, la chaleur, la maladie que peuvent ressentir ceux qui décident de rompre le jeûne. Pourquoi ceux qui en souffrent auraient-ils à se justifier de la fatigue, de la maladie ou tout simplement d’un choix ? N’est-il pas dit que le croyant n’a de compte à rendre qu’à Dieu dans la foi musulmane ? « Nulle contrainte en religion », dit un verset coranique. Le libre choix des pratiques religieuses contribuerait sans doute à réduire la vindicte populaire, l’hypocrisie sociale et laisserait place à une spiritualité qui n’a nul besoin d’être exhibée ou réglementée.

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