Urgence climatique en Afrique : cinq secteurs stratégiques et quatre leviers pour combler le déficit de 140 milliards $

Avec seulement 52,1 milliards USD de flux climatiques en 2022 contre 190 milliards de besoins annuels, le rapport Africa Insights 2025 identifie cinq secteurs stratégiques et quatre leviers opérationnels pour combler ce déficit.
Le 10e rapport Africa Insights, lancé à la mi juin par Casablanca Finance City (CFC) et Oxford Economics Africa sous le titre «Catalyser la transition durable de l’Afrique», dresse un constat sans appel sur le financement climatique du continent, révélant un paradoxe criant et un appel pressant à transformer les paroles en actes. Le rapport souligne avec force le déséquilibre fondamental auquel l’Afrique est confrontée.
«Bien qu’il ne contribue que faiblement aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, le continent est vulnérable de manière disproportionnée aux effets du changement climatique», peut-on y lire.
Une vulnérabilité exacerbée – événements climatiques extrêmes, sécheresses, inondations et dégradation des infrastructures – qui se heurte à une capacité d’action sévèrement limitée. Le rapport identifie clairement les freins structurels : «pauvreté multidimensionnelle, sous-développement structurel, marge de manœuvre budgétaire limitée, fardeau de la dette élevé et accès restreint à des capitaux internationaux abordables». Des contraintes qui, aggravées par «l’escalade des perturbations géopolitiques», sapent littéralement la résilience et le développement inclusif. Pourtant, comme le note le rapport, l’Afrique est à un «moment charnière».
Des besoins colossaux, des flux dérisoires
Le cœur du problème réside dans le gouffre financier. Le rapport chiffre le défi : des besoins annuels estimés à 190 milliards USD pour atteindre les contributions déterminées au niveau national (CDN). La réalité des flux en 2022 ? «Seulement 52,1 milliards d’USD, soit 3,3% du financement mondial de la lutte contre le changement climatique».
Ce niveau «critiquement bas» est un aveu d’échec collectif. La domination actuelle du secteur public, via principalement les Institutions financières de développement (DFI) multilatérales, est pointée, tandis que le secteur privé reste en retrait.
Les raisons sont connues mais doivent être combattues avec une vigueur renouvelée : «des risques élevés, des obstacles politiques et réglementaires, des cadres d’investissement faibles, des incitations insuffisantes, des capacités institutionnelles et humaines limitées, une mauvaise préparation des projets et une pénurie de projets susceptibles d’être financés». Combler ce fossé n’est pas une option, mais «essentiel pour une résilience systémique au climat» et pour libérer le potentiel économique africain.
Le potentiel inexploité des secteurs clés
Malgré les défis structurels, le rapport Africa Insights identifie cinq secteurs stratégiques où l’Afrique détient un avantage comparatif décisif pour sa transition verte. Les énergies renouvelables – solaire, éolien, hydroélectricité – représentent un potentiel «abondant» mais «sous-utilisé», offrant une base pour une décarbonation profonde et une indépendance énergétique.
L’agriculture durable émerge comme un levier incontournable pour améliorer simultanément la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des populations rurales. Les infrastructures résilientes, vitales pour protéger les communautés vulnérables contre les chocs climatiques, constituent un pilier de la pérennité du développement.
Par ailleurs, les réserves de minerais critiques positionnent le continent comme un acteur «indispensable» de la transition verte mondiale, tandis que l’économie bleue révèle un potentiel «inexploité» dans la gestion des ressources marines et côtières.
Collectivement, ces secteurs ouvrent des voies concrètes pour les investissements, la création d’emplois et la réduction des émissions, générant des dividendes socioéconomiques tangibles. Le rapport souligne ainsi avec urgence la nécessité d’accroître les flux de finance concessionnelle durable et d’innover au-delà des instruments traditionnels pour catalyser cette transformation.
Les leviers opérationnels pour une transformation effective
Cela dit, la transition vers une économie résiliente exige des mécanismes financiers innovants et des cadres d’action concrets. Le rapport promeut des instruments tels que la finance mixte, les obligations durables, les swaps dette-nature (DFN), les fonds d’impact, ou encore les marchés carbone – indispensables pour mobiliser des capitaux face à l’aggravation des déficits budgétaires et de la dette souveraine.
Toutefois, leur efficacité repose sur quatre conditions fondamentales. Premièrement, des cadres politiques incitatifs doivent réduire les risques perçus et attirer les capitaux privés. Deuxièmement, un renforcement des capacités techniques et une meilleure préparation de projets bancables sont cruciaux pour améliorer la visibilité des pipelines d’investissement. Troisièmement, les centres financiers internationaux (IFC) comme Casablanca Finance City doivent jouer un rôle central en canalisant les financements vers les secteurs stratégiques. Quatrièmement, les partenariats multipartites – incluant les PPP et la diaspora africaine via ses transferts de fonds – doivent être amplifiés.
Enfin, l’alignement sur les normes ESG et le cadre de l’Article 6.4 de l’Accord de Paris pour les marchés carbone régionaux est impératif pour garantir crédibilité et efficacité. Une architecture financière et politique qui forme l’épine dorsale d’une transition réalisable.
La portée stratégique du rapport-manifeste
À travers la publication conjointe de ce rapport, Casablanca Finance City (CFC) et Oxford Economics Africa placent la finance climatique au cœur des agendas économiques africains et globaux. Un geste qui révèle l’insuffisance des réponses actuelles face à l’urgence climatique et exige un changement radical d’échelle et de méthode.
Le message central affirme, sans équivoque, que «combler le déficit d’investissement africain est essentiel tant pour la résilience climatique systémique que pour libérer le potentiel économique» du continent. Les recommandations formulées forment un plan d’action cohérent, démontrant que la transition verte représente «une opportunité significative de transformation durable» – non un fardeau.
L’appel final exige un «engagement soutenu» et une «collaboration multi-acteurs», soulignant qu’«aligner les flux financiers sur les objectifs de développement durable est impératif pour l’avenir du continent mais aussi un investissement stratégique dans la stabilité climatique mondiale». Un postulat qui transforme la résilience africaine en impératif géostratégique. La financer n’est pas un acte de charité, mais un investissement dans la sécurité collective.
Le rapport, en offrant cette feuille de route détaillée, renvoie désormais la balle aux gouvernements, aux institutions financières (DFI et privées) et aux investisseurs ESG. Il leur incombe de transformer ces «idées en actions». L’Afrique, à ce «moment charnière», attend des actes proportionnés à l’ampleur de ses défis et à l’immensité de ses atouts.
Bilal Cherraj / Les Inspirations ÉCO