Immobilier durable : comment généraliser les logements verts ?

La majeure partie des Marocains préfère les appartements classiques aux logements durables, principalement en raison de leurs prix jugés excessifs. En activant certains leviers, dont les incitations fiscales, l’État pourrait généraliser ces résidences et renverser cette tendance. Explications…
Malgré ses nombreux avantages économiques et environnementaux, l’immobilier durable ne séduit pas encore une grande majorité des acquéreurs. C’est ce qu’a révélé un promoteur immobilier reconnu aux Inspirations ÉCO, précisant que ce segment ne concerne qu’une infime portion de la population.
«Entre 80.000 et 100.000 logements sont construits chaque année au Maroc, dont à peu près 10.000 à 15.000 logements de moyen et haut standing, sur l’ensemble du territoire. Selon les chiffres du ministère de l’Habitat, 90% de la demande est orientée vers des logements à bas coût, qui ne dépassent pas les 300.000 à 400.000 dirhams», argumente-t-il.
Un surcoût de 1.500 à 2.000 dirhams le m²
D’après lui, c’est surtout la cherté des logements verts, dont le surcoût varie entre 1.500 et 2000 dirhams du m², qui dissuade.
«Quand vous êtes à 1.500 DH du m², sur 100 m², le promoteur dépensera entre 100.000 et 200.000 DH de plus par logement. C’est énorme ! Seule une infime partie de la population pourrait se procurer ce genre de logement», indique notre interlocuteur.
Et d’ajouter : «Les promoteurs construisent ces logements qui correspondent à la classe sociale qui peut les acheter. Ils ne sont pas destinés à la majorité des acquéreurs parce que le foncier coûte cher, les matériaux de construction également, et les salaires sont limités.»
Pour notre interlocuteur, la mise en place d’incitations fiscales pourrait encourager les promoteurs à investir dans ces logements intelligents et les rendre plus accessibles aux populations.
«Dans les pays européens, des aides sont octroyées pour encourager les propriétaires à investir dans des logements durables. Malheureusement, au Maroc, tel n’est pas le cas, malgré les ambitions de durabilité affichées par les autorités», déplore-t-il.
Produire des matériaux durables
Autre piste à envisager : la production de matériaux incluant la durabilité dans le processus afin de développer une véritable chaîne de production locale. Cela permettrait de réduire les importations massives et leur impact sur la balance des paiements.
«Si on multiplie le nombre d’appartements produits chaque année au Maroc (environ 100.000) par le surcoût de 100.000 DH, cela donne 10 milliards de dirhams, soit environ 1,2 milliard de dollars», explique l’expert.
Selon lui, il faudrait exploiter les matériaux de construction dont dispose le Maroc et y inclure du matériel isolant, à travers la recherche et développement.
«Par exemple, on peut produire des briques rouges en y incluant de la paille et des matériaux isolants comme le polystyrène. Si on va vers cette typologie de production de matériaux de construction, l’impact sera beaucoup plus grand et cela pourrait participer à généraliser les logements durables», suggère le promoteur immobilier.
À titre de benchmark, il cite les Émirats Arabes Unis où les promoteurs sont tenus d’utiliser les briques rouges isolantes contenant du polystyrène puisque ce sont les seules sur le marché. «Malheureusement, cette recherche et développement fait défaut et il n’y a pas cette synergie entre les autorités et les unités de production pour pouvoir mettre en place ces innovations», regrette-t-il.
Intégrer la durabilité dans les marchés publics
Mohamed Hakim Belkadi, consultant architecte et expert en écosystèmes urbains prédictifs et des milieux interconnectés, abonde dans le même sens. Selon lui, outre l’octroi d’avantages fiscaux, l’État doit soutenir l’émergence d’une filière nationale de matériaux écologiques, à travers la création de «banques de matériaux locaux» biosourcés ou recyclés.
«Ces structures pourraient regrouper, certifier, valoriser et distribuer des ressources comme la terre crue, la pierre locale, le bois durable, le chanvre ou encore des isolants d’origine végétale. En abaissant les coûts logistiques et en garantissant la qualité, l’État réduirait la dépendance aux matériaux importés tout en stimulant la créativité architecturale enracinée dans les savoir-faire vernaculaires», recommande-t-il.
Autre levier à activer : l’intégration obligatoire de critères de durabilité dans les marchés publics. «Les collectivités locales et les institutions publiques construisent chaque année des milliers de bâtiments : écoles, hôpitaux, logements sociaux, infrastructures sportives. En exigeant des standards environnementaux plus stricts, elles peuvent tirer vers le haut toute une filière et offrir une visibilité accrue aux entreprises innovantes», suggère le spécialiste.
Construction durable : une priorité nationale
Le Maroc s’est engagé dans une transition énergétique ambitieuse, visant à porter la part des énergies renouvelables à 52% de son mix énergétique à l’horizon 2030. L’adoption de matériaux de construction durables est considérée comme un élément clé pour atteindre cet objectif.
Le Royaume a mis en place plusieurs initiatives afin de promouvoir la durabilité dans le secteur du bâtiment, en particulier dans le domaine de l’habitat résidentiel. Parmi celles-ci, on peut citer la loi sur l’efficacité énergétique adoptée en 2021 et la certification HQE (Haute qualité environnementale) pour les bâtiments.
Celle-ci évalue leur performance environnementale selon divers critères tels que la gestion de l’énergie, la gestion de l’eau, le choix des matériaux et le confort des occupants. À travers ce label, l’État encourage les promoteurs immobiliers et les constructeurs à adopter des pratiques durables dès la phase de conception des projets.
Elimane Sembène / Les Inspirations ÉCO