Maroc

Hind El Achchabi: un avocat au barreau de Paris prend l’affaire (entretien)

Sévag Torossian, avocat au barreau de Paris et avocat auprès de la Cour Pénale Internationale est mandaté par Hind El Achchabi, la femme d’affaire accusée d’adultère qui est actuellement en prison. Il fait le tour de la question dans cet entretien accordé à Le Site info.

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Qu’est-ce qui vous a décidé à prendre ce dossier en charge ? Pouvez-vous nous donner les détails de votre implication et votre rôle dans l’affaire ?

Le procès de Hind El Achchabi est l’archétype des procès sociétaux. Ces procès, douloureux mais exigeants, qui impulsent les grandes évolutions attendues par la société civile et le monde extérieur. A condition qu’ils soient menés pleinement, sans tabou ni artifice. J’avais suivi ce procès du continent européen avec l’humilité déplacée de l’observateur révolté qui ne pouvait rien faire. Plusieurs cordes sensibles avaient été touchées: le délit d’adultère, abrogé en France bien avant la peine de mort, la place de la femme dans la société marocaine, la femme d’affaires et philanthrope ayant fait fortune dans une société d’hommes… Et puis les rapports du Maroc aux puissances du monde musulman, les rapports sunnites-chiites, l’arrivée d’une femme, par le mariage, dans un monde du pouvoir sans limite et le revers de la médaille, les possibles coups montés qui envahissent tous les dossiers de crimes passionnels ou les blessures d’orgueil, ainsi que la liberté pour une femme de divorcer. Pardon: « d’être répudiée »… Hind El Achchabi représentait trop de symboles pour ne pas être elle-même symbolisée, sacrée, et donc sacrifiée.


Mais lorsque les procès sociétaux ne sont que partiellement compris par les institutions et la société civile, ils plongent la communauté dans une nouvelle phase analgésique d’obscurantisme. Le procès n’aura alors servi à rien, sauf à expier momentanément un symbole immolé. Il est beaucoup plus simple de condamner sans se poser les questions essentielles. La société civile est alors malléable. Ces condamnations-expiations peuvent être aisément provoquées par des gens qui n’ont aucun lien avec le Maroc, comme c’est le cas de l’ambassadeur du Koweït en Autriche qui a apparemment pris un billet d’avion pour mettre ses pieds immaculés dans un commissariat de Rabat et déposer une plainte pour adultère. Je ne comprends pas que le Maroc n’ait pas protégé ses enfants. J’en suis furieux. Un an et demi après leur séparation, le Koweitien dit qu’il ne l’a jamais répudié. L’officier de police aurait-il pris la plainte d’un ouvrier chiite qui aurait dit s’être marié au Koweït avec une marocaine sunnite ? Un peu de sérieux. C’est ici que le problème est devenu politique, et qu’il est devenu le problème du Royaume tout entier. Au lieu de rentrer dans son jeu, il suffisait de dire que la plainte est irrecevable. Et bon voyage Monsieur l’ambassadeur. Le Maroc n’est pas le vassal du Koweït.

Selon vous, qu’est-ce qui pose problème dans cette affaire ?

D’abord, le fait que Hind El Achchabi ait déjà été condamnée par les juges du fonds. On ne peut pas refaire les débats sauf à déposer une requête en révision. Ensuite, il y a les problématiques tenant aux Droits de l’Homme. Adultère ou pas, d’un homme ou d’une femme, il y aurait sans doute un trouble à l’ordre privé relevant de la vie privée, mais non un  « trouble à l’ordre public » qui définit toute infraction pénale. Enfin, il y a les dysfonctionnements inhérents aux débats et preuves rapportées. Pour schématiser, il y a trois grands thèmes ayant abouti à la condamnation, qui sont à la fois les trois grands thèmes de la pensée de l’ambassadeur : je ne l’ai jamais répudiée, donc nous étions toujours mariés lorsqu’elle a contracté un nouveau mariage ; ce nouveau mariage contracté au Mali est un faux ; je suis le père d’au moins un des enfants, de faux documents les concernant ont été fabriqués. Aux trois thèmes, des réponses peuvent être apportées mais les débats ont eu lieu en fonction des pièces qui ont été produites par les parties, et comme elles ont pu ou non les produire. La justice n’est pas affaire de vérité mais de preuves. Si Hind El Achchabi avait bénéficié d’une liberté provisoire pendant son procès, les choses se serait passées tout autrement.

Ensuite, l’interprétation des faits dans le procès pénal est un véritable venin. A partir de quelques pièces, l’accusation peut raconter une histoire qui peut être racontée autrement par la défense. Il faut beaucoup de sagesse pour ne pas tomber dans ses pièges et ce n’est pas donné à tout le monde. Dans le procès pénal, des faits banals deviennent suspects. Le fait qu’elle se soit remariée au Mali à fait l’objet d’une interprétation savamment utilisée. Mais le problème avec les montages est qu’il y a toujours des failles. Les repérer n’est qu’une question de temps. Ce temps, nous l’avons pris. J’ai déjà révélé dans une tribune du Huffington Post le scandale de l’attestation du Chef de Cabinet du ministre de la justice du Mali qui prétendait, à la demande de l’ambassadeur koweitien, que l’acte de mariage au Mali était un faux. Le Procureur Général de Bamako nous certifiait par écrit, il y a quelques jours, le contraire. Une plainte pour corruption de fonctionnaire est sérieusement envisagée. Quant aux enfants, l’expertise de paternité est sans appel : l’ambassadeur koweitien qui se dit être le père ne l’est pas. Je tiens à le dire ici : toute démarche à l’égard des enfants sera interprétée comme une tentative d’enlèvement.

A votre avis, pourquoi Hind El Achchabi est toujours en prison et n’a pas bénéficié de peine plus clémente ?

Je n’ai pas défendu Hind El Achchabi jusque-là. Je ne sais les raisons des décisions qui ont été prises ou non, y compris les demandes de mise en liberté. Mais ma conviction est entière: cette femme n’a rien à faire en prison. Je crois que la société civile n’a pas su cristalliser le débat qui s’ouvrait à elle sur la dépénalisation de l’adultère, la place de la femme dans la société marocaine, les rapports du Royaume avec les forces étrangères. Elle s’est endormie. A chaque débat important, il y a comme des résurgences du passé colonial dans les comportements des masses, un ancien goût pour la domination qui continuera de les endormir, sans le courage des vaillants.
En tout cas, l’impressionnante combativité de Hind El Achchabi, sa compréhension du système judiciaire et de ses besoins, de ses faiblesses et ses remèdes, forcent le respect. Elle n’a aucune rancœur à l’égard du Maroc, bien au contraire. Je pense qu’elle apportera beaucoup, notamment au combat des femmes du Maroc, demain.

Qu’allez-vous entreprendre dans ce dossier ?

D’abord, je vais demander sa libération. Ses modalités peuvent être politiques ou judiciaires ; ce n’est pas à moi d’en décider. Le Maroc a la chance d’avoir un Ministre de la Justice qui a une formation droits de l’hommistes et un Souverain réformiste. Mais on ne va pas s’arrêter là. Je ne peux révéler l’ampleur des actions mais trop de mal a été fait. A elle, à la justice, aux enfants. On ne bousille pas la vie de trois enfants pour une question d’honneur ou de vanité. Ce n’est le comportement ni d’un époux ni d’un homme. Aussi, avant d’aller plus loin, je veux savoir s’il s’agit d’un scandale d’Etat. Je ne suis même pas sûr que l’Emir du Koweït ait une réelle connaissance de tous les agissements de son ambassadeur, alors que le nom de l’Etat koweïtien a été utilisé à des fins privées (…) L’affaire El Achchabi demeure l’occasion pour le Maroc de tester ses forces. Celles des remises en cause mais aussi sa capacité de résistance aux puissances extérieures. Telle est ma mission. C’est un honneur de la défendre, et par là de servir le Maroc.

Propos recueillis par Soufiane Laraki

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