Economie

Paiements électroniques : la fin d’une ère monopolistique, l’aube d’un nouvel écosystème monétique

Après plus de vingt ans de domination quasi-exclusive du CMI, le Maroc ouvre une nouvelle page de son paysage monétique. La libéralisation de l’acquisition, actée par le Conseil de la concurrence, redéfinit les équilibres d’un marché stratégique où se jouent désormais concurrence, souveraineté technologique et inclusion financière.

Depuis plus de vingt ans, le marché des paiements électroniques était centré autour du Centre monétique interbancaire (CMI), qui détenait une position quasi-exclusive dans l’acquisition des paiements par carte et terminal de paiement électronique (TPE). Cette architecture centralisée, bâtie pour assurer la diffusion des moyens de paiement numériques, atteint aujourd’hui un tournant majeur.

La décision du Conseil de la concurrence en septembre 2024 de mettre fin au quasi-monopole du CMI a enclenché une libéralisation historique du secteur. Le Maroc se trouve désormais face à un défi double : transformer cette ouverture en une réelle concurrence bénéfique pour les commerçants, les consommateurs et l’inclusion financière, tout en garantissant la stabilité, la sécurité et l’interopérabilité de l’écosystème. Un virage stratégique est engagé, au cœur même de la feuille de route numérique du pays, la Maroc Digital 2030.

Le 31 octobre 2024, le Conseil de la concurrence a publié la décision n°152/D/2024 qui autorise les établissements de paiement (EDP) et les filiales bancaires dédiées à l’acquisition à opérer librement, dès le 1er mai 2025, dans le domaine du paiement électronique.

Cette décision impose également que le CMI cède l’ensemble des contrats d’adhésion des commerçants et sa passerelle de paiement en ligne à d’autres acteurs dans un délai maximal. L’objectif étant de faire émerger une dynamique concurrentielle et de réduire les coûts de transaction pour les commerçants.

L’ancien opérateur unique, lui-même initiateur d’un changement de posture, adopte une stratégie de repositionnement. Le 18 septembre 2025, le CMI annonçait le lancement du Casablanca payment agreement, un pacte réunissant acteurs publics et privés pour poser les bases d’un écosystème monétique “ouvert, interopérable et inclusif”. Il vise désormais à servir de plateforme technique neutre pour l’ensemble des acquéreurs, tout en poursuivant son rôle d’innovation.

Selon le CMI, ce sont plus de 200 millions d’opérations qui ont été traitées en 2024, dont 75% en «sans contact». L’objectif est aussi d’atteindre un volume de paiements électroniques compris entre 500 et 700 milliards de dirhams à l’horizon 2030 (contre 110 milliards prévus pour 2025), afin de réduire les coûts unitaires.

Enjeux pour l’ensemble de l’écosystème
Si le cadre légal est posé, la réalité de la concurrence reste à construire. Depuis mai 2025, plusieurs filiales bancaires ou établissements de paiement ont été autorisées à lancer leurs offres sur le marché. Cependant, à l’heure actuelle, peu de nouveaux acquéreurs ont annoncé des offres tarifaires clairement différenciées ou des stratégies disruptives. Les commerçants restent attentifs aux baisses de commission promises, mais la tâche est complexe. Quant au CMI, il devra céder plus de 55.000 contrats dans la phase transitoire.

Pour les commerçants, une ouverture plus grande signifie potentiellement des frais d’acquisition plus bas, des services plus adaptés (soft POS, wallets, paiement QR) et une meilleure intégration numérique. Mais elle implique aussi un changement d’habitudes, l’évaluation de nouveaux fournisseurs et une vigilance accrue sur l’interopérabilité.

Pour les consommateurs, l’enjeu est d’accélérer l’usage des paiements électroniques, de réduire le recours au cash et de gagner en simplicité et en fidélisation via les solutions digitales. Ces objectifs s’inscrivent dans une logique d’inclusion financière. Pour l’État et la régulation, la libéralisation doit s’accompagner d’un cadre de supervision, d’un suivi rigoureux des engagements et d’une articulation cohérente entre les acteurs. La révision des frais d’interchange en est l’un des leviers.

En matière d’innovation et de souveraineté, le Maroc souhaite faire du paiement électronique un vecteur de compétitivité. L’ouverture du marché peut favoriser l’émergence de fintechs locales, la valorisation des données transactionnelles et le développement d’écosystèmes numériques intégrés.

Les défis à ne pas sous-estimer
Le nouveau paysage des paiements électroniques devra néanmoins surmonter plusieurs défis structurants. La question des tarifs et de la viabilité économique reste centrale, car la baisse des coûts unitaires dépendra de l’atteinte de volumes suffisamment élevés, un objectif que le CMI projette entre 500 et 700 milliards de dirhams à l’horizon 2030.

Cette évolution exige aussi une interopérabilité pleinement fonctionnelle et une véritable neutralité de la plateforme technique, condition indispensable pour garantir une concurrence équilibrée. L’adoption devra, par ailleurs, progresser au-delà des centres urbains afin d’intégrer les commerçants ruraux, les micro-entreprises et les populations moins bancarisées, pour qui le digital constitue encore un saut culturel.

Dans ce marché désormais ouvert, la sécurité des transactions et la confiance des utilisateurs deviennent des priorités absolues, d’autant que le cash demeure dominant dans les usages. La libéralisation ne produira donc ses effets qu’à condition d’accompagner ces transformations techniques, économiques et culturelles.

Vers une nouvelle ère, mais pas d’effet immédiat
Le Maroc est à l’aube d’un changement de modèle dans les paiements électroniques. L’ouverture du marché et le repositionnement du CMI constituent des signaux forts. Toutefois, la transformation ne sera pas linéaire. Il faudra du temps, de l’investissement, des partenaires technologiques et une montée en maturité du marché.

Le pari est ambitieux : faire du paiement électronique non seulement une alternative, mais une norme, au service de l’inclusion, de l’innovation et de la souveraineté. Il ne s’agit plus seulement de «payer par carte», mais de construire un écosystème numérique où le paiement devient une expérience, une donnée, une opportunité.

Le Maroc entre dans une nouvelle phase, celle de la concurrence utile, de l’ouverture maîtrisée et de la transformation systémique. Reste à chacun des acteurs de jouer pleinement sa partition.

Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO



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