Economie

Covid-19: ce qu’il faut faire pour sauver l’économie du Maroc, selon Radouane Raouf

Par LeSiteinfo avec MAP

Face à la propagation inquiétante du nouveau coronavirus (Covid-19) dans le monde, où plus de la moitié de la population se trouve aujourd’hui confinée, plusieurs interrogations se posent quant au sort des économies de la planète, y compris celle de Maroc. Le Professeur d’économie à l’Université Mohammed V de Rabat, Radouane Raouf livre à la MAP son analyse de la conjoncture économique nationale et propose des pistes à même de surmonter les difficultés auxquelles notre économie pourrait faire face.

Quels sont les principaux secteurs qui seraient impactés par la propagation de la pandémie du Coronavirus, et à quels degrés ?

Ce que nous vivons aujourd’hui est exceptionnel. Des pans entiers de l’économie sont touchés d’une manière directe ou indirecte par l’expansion de la pandémie du Covid-19. Il y a certainement plus de perdants que de gagnants. Les secteurs qui sont touchés de plein fouet par la crise sanitaire sont en premier lieu les secteurs du transport et du tourisme et en leur tête le transport aérien. Le trafic aérien s’est effondré et il est, aujourd’hui, à l’arrêt, entraînant dans son sillage l’arrêt du tourisme. Confinement oblige, les hôtels, restaurants, cafés, marchés sont à ciel ouvert, écoles et centres de formation sont fermés. L’impact est direct et total.

Le secteur industriel est aussi touché d’une manière directe, à cause de la réduction des effectifs ou indirectement à travers l’arrêt des donneurs d’ordre ou le ralentissement des chaines de logistique et d’approvisionnement. Les fermetures des industries et du commerce en Chine et leur place dans les chaines de valeur mondiales expliquent en grande partie les perturbations que connait la production industrielle particulièrement en Europe.

Le secteur agricole subit les conséquences de la sécheresse et de la pandémie. L’impact de la sécheresse est attendu et direct, mais l’effet de la pandémie passera plus par le canal de la baisse de la demande.

Certains secteurs sont totalement à l’arrêt, quelle en est la conséquence à court et moyen termes?

Il faut souligner que la crise qui se profile se caractérise par des chocs négatifs sur l’offre et sur la demande. Nous pouvons dire que la baisse de l’offre, voire son arrêt complet dans certains secteurs, a des conséquences immédiates sur l’emploi et, par voie de conséquence, sur les revenus des ménages concernés. Cette situation pourrait se traduire dans le court terme (un à deux mois) par une baisse de la demande (des biens intermédiaires et de consommation). Le risque est de vivre dans le court et le moyen termes (plusieurs mois) une baisse des prix à cause d’un éventuel effondrement de la demande (interne et externe). Cet état, possible, de déflation dépendra aussi de la réaction de l’offre et de la reprise de l’activité économique et du temps que cela prendra.

L’emploi est un autre problème qui va se poser encore avec plus d’acuité. Le risque ultime est de se retrouver dans une situation de faillite en cascade, car les dépenses des uns sont justement les revenus des autres. Mais si l’intervention de l’État est à la hauteur, l’impact même douloureux dans le très court terme, pourrait éviter une récession dans le moyen terme et mettre les jalons pour une reprise vigoureuse à partir du troisième trimestre.

Un autre effet se rattache à l’impact de la crise sur la balance des paiements et les réserves de change. L’interruption des recettes du tourisme, le ralentissement des transferts des MRE (dû à la crise en Europe) et la faible demande étrangère peuvent être perçus comme des sources de tensions sur les réserves en devises. Néanmoins, cet effet mérite d’être relativisé. La demande d’importations (de biens de consommation comme les biens intermédiaires) connaitrait le même sort et la baisse du prix de pétrole vient également contrebalancer la perte de devises. De surcroit, le Maroc dispose de plus de cinq mois d’importations de devises et la ligne LPL (Ligne de précaution et de liquidité) du FMI. L’élargissement de la fluctuation du dirham, introduite dernièrement par Bank Al-Maghrib (+/-5%), pourrait aussi limiter les incidences sur les réserves de changes.

Quelle lecture faites-vous des différentes mesures prises par l’État pour atténuer les effets du coronavirus sur l’économie ?

Toutes les mesures et les dispositions prises par les pouvoirs publics sont nécessaires et louables. Les fonds doivent être orientés d’une manière efficace aux entreprises qui risquent la faillite à cause de la pandémie, notamment les TPE et PME. Ces fonds peuvent être utilisés pour garantir les paiements entre les entreprises et accélérer le paiement public-privé. Ils doivent leur donner la possibilité de garder leurs salariés et, en même temps, d’éviter les free-rider. Il s’agit aussi de venir en aide aux individus qui ont perdu leur emploi (notamment dans l’informel), les indépendants et tous ceux et celles qui n’ont aucun filet de sécurité. Ces mesures seront d’un grand intérêt pour stopper l’hémorragie et permettre une relance dans les mois qui viennent.

Au-delà des mesures qui portent sur l’offre, il faut relancer la demande intérieure. Une situation exceptionnelle mérite des dispositions exceptionnelles. Il faut sortir « l’artillerie lourde ». Ce qui justifie le recours, au niveau mondial, à l’idée de « helicopter money », qui revient à Milton Friedman, et qui se trouve dans les tuyaux des grandes banques centrales, ou encore à la création monétaire en faveur de la population fragile qui pourrait résoudre, au moins en partie, le problème social et de la faible demande sans pour autant mettre en péril la finance publique.

Selon vous, quelles sont les leçons que notre économie doit tirer de cette crise sanitaire ?

« Les crises, les bouleversements et la maladie ne surgissent pas par hasard. Ils nous servent d’indicateurs pour rectifier une trajectoire, explorer de nouvelles orientations, expérimenter un autre chemin de vie », écrivait Carl Gustav Jung. Je crois qu’il y aura un avant et un après Covid-19, que ce soit pour notre économie ou pour l’économie mondiale. Cette crise sanitaire a révélé en plein jour l’extrême fragilité du monde et des économies. L’éclatement des processus de production rend les économies très interdépendantes et il suffit d’un grain de sable qui vient ralentir les chaînes de valeurs pour anéantir toutes les économies.

On doit redessiner nos priorités en termes de production, de rendre notre économie moins dépendante pour les produits stratégiques et encore moins dépendante de la demande étrangère. Il n’est pas question de protectionnisme, mais plutôt d’un positionnement stratégique de précaution.

S.L. (avec MAP)


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