Culture

Mohammed Khaïr-Eddine, un poète marocain adapté au théâtre du Tarmac à Paris

Dans le cadre d’une programmation consacrée aux pays arabes, le théâtre du Tarmac à Paris a accueilli, du 29 au 31 mars, le temps de trois représentations, une création de Cédric Gourmelon, avec le comédien Ghassan El-Hakim, dans le rôle titre.

Par Olivier Rachet

Après avoir programmé l’adaptation théâtrale du roman de Driss Chraïbi, La civilisation ma mère, avec Amal Ayouch, mis en scène par Karim Troussi, le théâtre du Tarmac vient d’accueillir l’adaptation d’un des romans les plus sulfureux du romancier et poète marocain Mohammed Khaïr-Eddine. Longtemps censuré au Maroc, Le Déterreur est tout à la fois le récit d’un exil, le cri de révolte d’un poète dissident, le témoignage cru et violent d’un inexorable bannissement. Cédric Gourmelon a choisi ce texte pour sa force subversive et le découpage qu’il opère frappe par sa concision et son aspect éclatant. Le comédien Ghassan El Hakim défend de toute son âme un texte et un auteur qu’il juge incontournables : « Moi personnellement, je ne comprends pas pourquoi cet auteur reste négligé par les metteurs en scène, les chorégraphes et les plasticiens. L’œuvre de Khaïr-Eddine est une mine d’or pour ceux qui cherchent à reforger l’identité marocaine perdue par des accumulations de peaux post-coloniales. Il est temps de MUER. »

Un cannibale en enfer


Un homme est ventre à terre, le corps maculé de boue. Après d’hésitantes contorsions, il finit par se lever, par naître à même le sol. Si c’est encore un homme car les miasmes qui s’agrippent à son corps le rattachent davantage aux bêtes. Il déterre des cadavres pour se nourrir, se souvient avec précision de son lieu d’origine. Tout commence dans le Sud marocain, peut-être à Tafraoute, ville natale du romancier. Des cailloux dispersés sur la scène rappellent la rugosité de cette région enclavée dans la roche. Une gamelle est posée à même le sol, comme pour un chien que son maître se réjouirait d’avoir dompté.

C’est bien une histoire de domination que le personnage incarné par Ghassan El-Hakim raconte, alternant bribes de souvenirs, imprécations contre la famille ou le pouvoir. C’est un exilé qui parle, un immigré qui, à l’instar de Khaïr-Eddine lui-même, a fui les siens pour l’aventure. Ils furent nombreux à avoir répondu à l’appel du travail et de la prospérité économique. Ils furent nombreux à avoir quitté une terre aride pour un sol infertile ne leur ayant accordé aucun droit ou presque. Sans doute sommes-nous dans les années 1970 quand commencèrent à sortir de terre les premiers bidonvilles, dans les environs de Nanterre ou au Nord de la France, dans les mines de houille. « Je suis né au milieu de fleurs de cactus. Les mêmes que vantent les prospectus du Club Méditerranée et les photographes officiels, écrit l’auteur dans les premières pages du roman. Ici, dans le Sud marocain, on nous interdit tout : femmes, vin et cochon. Comme je n’ai plus un rond et que je ne peux me passer de viande, je vais déterrer les cadavres qu’on vient d’ensevelir. »

Un poème imprécatoire

Le Déterreur est le récit d’un naufrage, personnel et collectif. La faillite et la malédiction d’un homme qui, sur les pas d’Arthur Rimbaud, aurait voulu naître poète, pour ne pas avoir à traverser l’enfer de la condition humaine. « Je suis un bougre qui ne tolère pas les autres. » Une bête décidément. Ghassan El-Hakim martèle avec une incandescente précision les brûlures d’un homme, les vertiges d’une dépossession. Chaque mot s’arrache d’une bouche dont la mâchoire désarticulée rappelle parfois les tableaux de Francis Bacon.

Représentée en janvier 2017 au théâtre 121 de l’Institut Français de Casablanca, la pièce mise en scène par Cédric Gourmelon a nécessité un travail intense de préparation. Ghassan El Hakim relève le défi et bien plus qu’une simple interprétation, accomplit une performance physique saluée par de nombreux critiques : « Le travail sur un rôle comme celui-ci demande une grande concentration et une mémoire physique exceptionnelle. Il n’y a pas de personnage à imaginer ou à mettre en place. Le seul caractère présent sur scène, c’est le texte de Khaïr-Eddine. Toute la composition scénique qui m’a été proposée tournait autour d’un outil textuel, des mots, des tirades et des soliloques. J’ai donné mon corps pour servir les pensées du grand auteur Amazigh et témoigner de sa colère, de ses envies, de son cri étouffé. » Avec une telle puissance de jeu et une telle intensité verbale, gageons que cette pièce a encore un bel avenir devant elle !

O.R.

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