Culture

Chronique littéraire: Yasmina Khadra, La dernière nuit du Raïs

Il est retranché à Syrte, avec Abou Bakr, son ministre de la Défense, Mansour Dhao son chef de la Garde populaire, d’autres gradés qu’il a sous son emprise.

Il sait qu’il est en train de vivre ses derniers moments. Les rebelles qu’il a su pendant si longtemps réduire au silence perpétuent le chaos qu’il a lui-même engendré. Il subit de plein fouet les assauts des forces principalement occidentales dont l’interventionnisme n’est pas sans comporter des zones d’ombres.

Le Conseil National de Transition vient de voir le jour. Le père de la révolution libyenne qui, à l’issue d’un coup d’Etat ayant renversé, en 1969, la monarchie du roi Idriss, a proclamé la première république arabe de Libye, se souvient des exactions commises, de la tuerie en 1996 de la prison d’Abou Salim ou de l’attentat de Lockerbie, mais surtout de toutes les vexations ayant jalonné son existence.

Tout jeune lieutenant, amoureux de la jeune Faten, il demande en mariage au père la jeune fille qui est lui refusée sous prétexte qu’il appartient à un rang social inférieur. Plus tard, devenu capitaine, lorsqu’il briguera un poste d’ambassadeur, un affront similaire le conduira à gifler un supérieur. Promu au rang de colonel, il saura se venger de ces humiliations répétées, en infligeant à son entourage et à son peuple les brimades les plus incontrôlables.


Yasmina Khadra excelle à pénétrer le cerveau monomaniaque d’un tyran qui prétendait que «le pouvoir étant hallucinogène, on n’est jamais à l’abri des rêveries meurtrières».

Se voyant tour à tour en héros libérateur ou en victime sacrificielle de l’esprit de ressentiment d’un peuple qu’il tenait sous son joug – c’est-à-dire à la fois sous un respect idolâtre et l’arbitraire le plus fou – le personnage de Muammar Kadhafi, qu’humanise en partie l’auteur, se perçoit comme un prophète illuminé et mégalomane dont la blessure la plus secrète se rapporterait peut-être à ce père dont on ne sait s’il fut tué en duel par le membre d’une autre tribu, écrasé par un tank lors de l’offensive de Rommel ou tout simplement un soldat corse égaré ayant porté l’infamie dans toute une famille en donnant naissance à un bâtard. Kadhafi, lointain ancêtre de Napoléon le grand humilié par Napoléon le petit, la thèse mérite d’être approfondie…

Dès lors, la fascination qu’exerça sur ce tyran l’autoportrait à l’oreille coupée de Van Gogh serait moins l’aveu d’une sensibilité exacerbée que la marque d’une passion morbide pour toute forme de mutilation infligée en premier ressort à tout un peuple ; les terroristes monomaniaques d’aujourd’hui, pas esthètes pour un sou d’ailleurs, n’étant que les enfants devenus enragés de ces despotes d’hier.

Olivier Rachet

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