Culture

Le dernier roman de Fouad Laroui fera date

Romancier à succès, Fouad Laroui, prix Goncourt de la nouvelle en 2013 pour L’étrange affaire du pantalon de Dassoukine, revient dans son dernier roman (Ce vain combat que tu livres au monde) sur la violence guerrière et terroriste du monde contemporain et rend un vibrant hommage à une civilisation arabo-musulmane trop longtemps occultée.

Par Olivier Rachet

Et si l’histoire était avant tout une affaire de focale? Si les déflagrations du monde contemporain étaient contenues en germe dans les errements d’un passé dont une seule partie de l’iceberg émergerait? On le sait bien, l’histoire est toujours racontée par les vainqueurs, c’est-à-dire par les historiens eux-mêmes, les professeurs, les universitaires, jamais par les vaincus.

Encore faudrait-il arriver à démêler cet écheveau qui mêle inextricablement les récits propres à chaque peuple, à chaque civilisation. A chaque aire géographique, une vision subjective, ethnocentriste de l’histoire serait allouée. L’invasion de l’Irak, en 2003, perçue comme la perpétuation des croisades du côté de l’Amérique, comme une invasion digne de l’histoire coloniale, du côté proche et moyen oriental.


Ce vain combat que tu livres au monde, le dernier roman de Fouad Laroui, a pour louable projet de mettre en perspective des siècles d’histoire(s) afin de mieux saisir la force de dévastation que revêt un refoulement originaire. Nous sommes à Paris, avant les attentats de novembre 2015. Malika, jeune institutrice née en France, s’installe avec Ali, un ingénieur à l’avenir prometteur. Chacun cultive un jardin secret, des amitiés certes distinctes mais encore complémentaires. Malika et Claire sont comme deux soeurs jumelles pour qui Paris reste et restera toujours une fête. Ali et Brahim sont cousins comme on est toujours frères dans l’islam et cultivent une nostalgie de leur pays d’origine, un Maroc qu’ils essentialisent quelque peu et dont ils semblent méconnaître la grande diversité de peuplement.

Tout se tient jusqu’au jour où Ali se voit refuser une mutation qu’il pensait devoir mériter, eu égard à ses compétences et à son investissement personnel. On assiste alors, comme dans ce superbe film de Phlippe Faucon, La Désintégration, à une lente descente aux enfers d’un homme qui se recroqueville sur lui-même et qui fantasme un retour à un antre originel dont il pense être l’héritier. Méconnaissant l’histoire du point de vue arabe, cédant aux sirènes de la propagande djihadiste, il finira par s’enrôler dans les milices de Daech, à Raqqa, en Syrie. Aller simple sans espoir de retour.

Mélancolie du monde arabe-musulman

Tout l’art du roman consiste à mettre en corrélation cette inéluctable désagrégation d’un homme ayant comme perdu l’ombre de lui-même avec des pans entiers d’une histoire du monde arabo-musulman en partie refoulée et occultée. Une histoire qui débuterait avec les croisades chrétiennes partant à l’assaut de Jérusalem dont le paradigme belliqueux resurgit au gré des invasions américaines en Irak ou européennes en Syrie, au gré aussi d’une idéologie du choc des civilisations dont le manichéisme semble renaître des cendres toujours vives de la guerre froide ou d’un affrontement de blocs et d’empires en dehors desquels l’histoire a du mal à se penser.

Une histoire qui se poursuit avec la colonisation et les accords de Sykes-Picot signés le 16 mai 1916 qui redessinent la carte du Proche-Orient sur les décombres de l’empire ottoman. Une signature entre français et britanniques, dans les salons feutrés d’une diplomatie de la conquête et d’une volonté de puissance incoercible. Aux français échoient le Liban, la Syrie et la région de Mossoul, au nord de la Mésopotamie, fief autoproclamé aujourd’hui de l’état islamique. Aux britanniques, le reste de la Mésopotamie qui deviendra l’Irak et la Transjordanie. Une histoire parsemée d’embûches et d’errements où après avoir essayé le nationalisme, le socialisme, les dictatures militaires, des Etats en voie de décomposition accélérée ou de recomposition misent sur la religion comme voie ultime de salut politique.

Fouad Laroui cite fort à propos un article de Gérard Haddad, publié dans La Revue, n° 59-60, intitulé « Mélancolie des peuples » dans lequel l’auteur voit dans la figure du kamikaze le symptôme du monde arabe d’aujourd’hui :

« Le mal pernicieux dont souffre cette grande famille humaine ne réside pas dans la théologie mais dans une mélancolie latente, masquée.

Pris dans l’étau d’un rêve orgueilleux de grandeur, plongeant ses racines dans un brillant Moyen Âge défunt, rêve désormais inaccessible, confronté à un présent sociopolitique médiocre, fait de mauvaise gouvernance, de disproportion abyssale des richesses, de corruption, d’impuissance politique, ce monde-là ne peut que sombrer dans la désespérance et la mélancolie. »

Une contre-histoire célébrant la civilisation arabe

Une histoire enfin que l’on pourrait raconter, en variant la focale. En rappelant que l’invention de la camera obscura ne date pas de la Renaissance mais peut être attribuée au père de l’optique moderne : Ibn-el-Haytam (965-1039); qu’avant Descartes, au IX e siècle, à Bagdad, Thabit ibn Qurra a réduit, le premier, des problèmes géométriques à des formules d’algèbre; qu’au Xe siècle, al Biruni a calculé la circonférence exacte de la terre « alors que la plupart des habitants de la planète ne savaient pas qu’elle était ronde. »

Le roman de Fouad Laroui fera date, non seulement car il éclaire la part d’obscurantisme qui ravage le monde contemporain qui est le nôtre, mais aussi par le souci qui est le sien de rendre à la civilisation arabo-musulmane toute la place qui est la sienne dans l’Histoire de l’humanité.

Ce vain combat que tu livres au monde: le dernier roman indispensable de Fouad Laroui, aux éditions Julliard.

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