Economie

La réponse du fondateur de Huawei à la décision des USA

Entretien avec Ren Zhengfei, fondateur de Huawei.

Question: Les États-Unis ont délivré une licence temporaire à Huawei. En d’autres termes, cela voudrait dire que les restrictions qui sont aujourd’hui imposées à Huawei par les Etats-Unis pourraient éventuellement être levées dans les prochains 90 jours. Quelle est votre opinion par rapport à cela ? Qu’allez-vous faire tout au long de ces 90 jours ? Si les États-Unis annulent en effet les restrictions imposées, comment commenteriez-vous alors un tel revirement?

Ren: Il faut savoir que ces 90 jours ne signifient pas grand-chose pour nous. Aujourd’hui nous sommes préparés à toutes les éventualités. Le plus important pour nous est de continuer à honorer nos engagements envers nos partenaires et clients. Ce que les États-Unis vont décider de faire ne dépend guère de nous. Je voudrais par ailleurs saisir cette occasion pour exprimer toute ma gratitude aux entreprises américaines avec lesquelles nous travaillons. Tout au long de ces 30 dernières années, elles ont contribué à faire de nous ce que nous sommes devenus aujourd’hui. Elles nous ont apporté tellement de choses. Comme vous le savez, la plupart des sociétés qui fournissent des services de conseil à Huawei sont basées aux États-Unis. Parmi ces entreprises, on retrouve une douzaine de firmes de renom comme IBM ou Accenture.

Parallèlement, nous bénéficions aujourd’hui du soutien d’un nombre important de fabricants américains de composants et d’équipements. Face à la récente crise, je peux vous affirmer que je ressens toute la solidarité et toute la sympathie que ces entreprises expriment pour nous. Comme le dit un proverbe chinois, une cause juste attire toujours beaucoup de soutien. Aujourd’hui, certaines entreprises américaines ont déjà pris contact avec le gouvernement américain au sujet de la décision des États-Unis d’ajouter Huawei à la liste des « sociétés interdites de fournir des équipements aux entreprises de télécommunication américaines ». Cette liste suppose également que si une entreprise américaine désire vendre quelque chose à Huawei, elle devra auparavant obtenir l’approbation du gouvernement américain.


Chaque pays est régi par les lois qu’il édicte. Les entreprises américaines sont tenues de respecter les lois de leur pays. Les médias ne devraient donc pas toujours blâmer les entreprises américaines, mais au contraire parler pour eux. La faute devrait plutôt incomber à certains politiciens américains. Je pense que nous devrions nous abstenir de blâmer aveuglément tout le monde sans savoir qui est vraiment le responsable. Nous pourrions finir par nous en prendre aux mauvaises personnes si nous continuons à agir de la sorte. Les médias devraient comprendre que Huawei, tout comme les autres sociétés américaines, partagent le même sort. Nous sommes tous les deux des acteurs d’un marché interconnecté. Les politiciens américains ont peut-être sous-estimé notre capacité de résilience et je ne veux pas en dire plus à ce sujet. He Tingbo, présidente de HiSilicon, a d’ailleurs expliqué très clairement toutes ces questions dans la lettre interne qu’elle a adressée au personnel de Huawei et que la presse grand public a diffusée de manière très large à l’intérieur comme à l’extérieur de la Chine.
Vous aviez tout à l’heure évoqué l’exemple de l’avion qui fut récemment endommagé par un oiseau: nous sommes tous amenés à faire face tôt ou tard à des situations pour lesquelles nous n’avions pas prévu de « pneu de secours » ou de plan B.

La décision des États-Unis aura un impact certain sur nos produits. Cependant, cet impact sera minime notamment pour ce qui est des technologies les plus avancées que nous développons, à l’instar de la 5G. A ce niveau d’ailleurs, nos concurrents ne seront plus en mesure de nous rattraper dans deux ou trois ans.

Question: Je voudrais vous poser une question au sujet des puces que vous utilisez. J’ai remarqué que, dans une interview que vous aviez accordée à la presse japonaise le 18 mai dernier, vous aviez déclaré que « Huawei n’avait pas besoin d’être fournie en puces en provenance des États-Unis ». Dans la lettre interne que vous aviez adressée à vos employés, vous aviez mentionné que Huawei possédait un plan de secours et qu’il s’était déjà préparé à toutes les éventualités. Puis-je vous demander d’où vous tirez cette capacité à «rebondir» malgré la situation ?

Ren: Nos partenaires américains sont aujourd’hui contraints de demander l’approbation de Washington pour tout équipement qu’ils désirent nous vendre. A chaque fois que cette approbation leur sera accordée, nous pourrons alors nous approvisionner en puces auprès d’eux. Dans le cadre du plan de secours que nous venons de déployer, nous n’excluons en aucune manière nos partenaires américains: d’ailleurs, nous ne cherchons pas à nous développer seuls. Au contraire, nous sommes persuadés que nous devons continuer à grandir ensemble. Cependant, l’offre de nos partenaires risque d’être insuffisante. C’est pourquoi nous allons fabriquer nous-mêmes une bonne partie de nos puces haut de gamme. Avant que ne survienne cette crise, nous avions adopté une politique « 1 + 1 »: la moitié des puces que nous utilisions provenait d’entreprises américaines et l’autre de Huawei. Malgré les coûts beaucoup plus bas des puces que nous produisons nous mêmes, nous continuerons à nous approvisionner en puces plus chères produites aux États-Unis. Et pour cause, nous ne pouvons pas être complètement isolés du monde car nous en faisons partie. Nous sommes certes capables de produire nous-mêmes des puces toutes aussi bonnes que celles fabriquées par les entreprises américaines, mais cela ne signifie pas que nous n’achèterons plus de puces aux États-Unis à chaque fois que cela sera possible.

Question: Vous aviez dit un jour que Huawei ne travaillera plus à huis clos et qu’il coopérera en permanence avec d’autres entreprises. Aujourd’hui, vous dites que Huawei fera les deux choses à la fois. Cela signifie-t-il donc que le protectionnisme commercial américain et l’interdiction de Huawei par les États-Unis sont entrain de profondément perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales et de provoquer le chaos sur l’ensemble des marchés? Les États-Unis ont accusé Huawei à de nombreux égards, aussi bien pour ce qui est de sa gouvernance que pour ce qui est de ses finances. Selon vous, pourquoi ciblent-ils Huawei?

Ren: Je ne suis malheureusement ni télépathe ni médium pour vous dire exactement ce que les politiciens américains pensent vraiment. Tout ce que je sais, c’est que cela n’est juste d’être la cible gratuite de campagnes dirigées par les États-Unis, juste parce que nous sommes en avance sur eux technologiquement. La 5G ce n’est pas la bombe atomique! Au contraire, c’est une technologie qui profite à tout le monde. En termes de capacité du réseau, la 5G est 20 fois plus puissante que la 4G et 10 000 fois plus puissante que la 2G. La consommation d’énergie par bit de notre station de base 5G est dix fois moins importante que celle de notre station 4G, tandis que sa taille est d’environ 70% plus petite. Notre station de base 5G est donc extrêmement réduite, présentant à peu près de la même taille qu’un porte-documents. Elle est également plus légère d’environ 20 kilogrammes. Il n’est pas nécessaire de construire des tours de téléphonie cellulaire pour installer des stations de base 5G, car celles-ci peuvent être installées n’importe où, sur des poteaux comme sur des murs.

Question: Pensez-vous que le marché international a été perturbé par cette décision?

Ren: Non, je ne le pense pas. L’Europe ne suivra pas les traces des États-Unis et la majorité des entreprises américaines continueront à communiquer de manière étroite avec nous.

S.L.

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