Culture

Hicham Lasri: « Je ne suis pas le fils de la pensée unique… »

Hicham Lasri travaille encore et encore. Il publie aux éditions Kulte un second roman graphique dont des planches sont exposées à l’Institut Français de Casablanca où il viendra présenter son avant-dernier-film, en avant-première. Entre deux prises de la nouvelle série qu’il prépare pour le net, il s’entretient avec Le Site info.

Propos recueillis par Olivier Rachet

Le siteinfo : L’actualité d’Hicham Lasri va toujours plus vite que son ombre. Sortie de votre roman graphique Fawda publié par Kulte éditions, exposition dans le cadre du festival Masnaâ de planches inédites accompagnant votre roman graphique, projection en avant-première de votre avant-dernier film, HEAdbanG LULLABY, à l’Institut Français de Casablanca, jeudi 25 mai. Hicham Lasri, quel don d’ubiquité est le vôtre ?

 Hicham Lasri : Il faut demander à ma femme (rires). J’ai toujours été un stakhanoviste. Le plaisir d’écrire, de créer n’a jamais été une corvée, pour moi. Cela me fait de la peine de voir des artistes qui souffrent. Les premiers obstacles que l’on rencontre peuvent toujours être franchis. Et puis, le plus épanouissant est de finir ce que l’on a commencé.

J’ai 25 ans de carrière derrière moi. J’ai commencé à écrire à 15 ans. J’ai développé une forme de rigueur. Tous les jours, je m’oblige à être créatif. Je n’aime pas le mot productif même si je me définis comme stakhanoviste. Pour moi plus on donne, plus on crée, plus l’âme se régénère. J’aime beaucoup le principe de l’œuvre, comment construire quelque chose sur la longue durée. Peu de cinéastes réfléchissent en termes d’œuvre. Du coup, beaucoup restent empêtrés dans quelque chose qui appartient au siècle d’avant.

Avant, les moyens étaient compliqués, les caméras étaient lourdes. Actuellement, un téléphone portable suffit pour faire un film. Après c’est aussi un mode de vie qui s’articule autour du plaisir de l’écriture et de la lecture.

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Le siteinfo : Revenons à Fawda (chaos), votre second roman graphique après Vaudou publié l’an passé. Le livre s’ouvre sur une épigraphe de Salman Rushdie disant: « La pureté, le pedigree ne servent à rien, il faut célébrer les bâtards ». Hicham Lasri, de qui n’êtes-vous pas le fils ?

Hicham Lasri : Je ne suis pas le fils de la pensée unique, de ceux qui veulent chercher à tout prix une identité parce qu’ils manquent de cœur. De ceux qui ont besoin de poser la question du choix alors que dans le monde, ce ne sont que des portes ouvertes. Je n’ai rien contre le principe d’identité mais ce ne doit pas être, pour moi, un principe d’exclusion. Je n’aime pas le radicalisme, le fascisme de la pensée. Je suis le fils de toutes les inspirations du monde, au-delà des religions, des continents, des couleurs.

Le siteinfo : Fawda met en scène plusieurs personnages au parcours des plus chaotiques. Il semble moins être question, pour vous, de raconter une histoire que de rechercher l’équivalent visuel d’une désintégration tous azimuts. L’un des personnages se demande d’ailleurs : « Comment toucher une femme si je deviens immatériel… ? » Avez-vous conçu ce roman graphique comme le pendant visuel d’une désintégration à la fois sociale, familiale, relationnelle ?

Hicham Lasri : Le principe de chaos ou comment être dans un monde où l’on peut se permettre de s’évader sans changer de place. Ce qui m’intéresse est de savoir comment raconter ce voyage fragmenté.

Le chaos, en fait, c’est une désorganisation avec des éléments qui ont du sens, comme avec le principe d’association d’idées. Comment on peut associer Goldorak et la mosquée Hassan II, comme je le fais dans Fawda. Les lecteurs ont réfléchi à la nostalgie d’une époque qui est aussi celle de l’enfance. Ce n’est pas très éloigné du travail qui est le mien sur mes longs métrages: je me réfère à mon enfance, mais d’un point de vue humain, et non politique.

Le siteinfo : L’exposition présentée par l’Institut Français de Casa projette deux vidéos inédites: Casa One day & Upside Down. Vos expérimentations graphiques prolongent-elles votre travail cinématographique ou l’inverse ?

Hicham Lasri : Il s’agit davantage d’une sorte de happening plutôt que d’une exposition. On est surtout dans une logique d’installation. Il s’agit de raconter le désordre d’une ville. Upside Down ranconte la ville à l’envers, le personnage est émotionnellement chamboulé.

Ce qui m’intéresse est d’être dans une écriture qui se rapproche, comme dans la série No vaseline Fatwa, de l’immédiateté de l’époque.

Il s’agit de voir l’époque avec les yeux de l’époque, avec les yeux des jeunes. En général, les réalisateurs vieillissent très vite car ils s’assoient sur leurs convictions. L’important est d’être perméable, poreux, de faire l’effort de comprendre l’époque et les modifications qu’elle apporte, au niveau des us, des coutumes, des traditions…

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Le siteinfo : Dans votre cinquième long-métrage qui sera présenté en avant-première jeudi 25 mai à l’IFC, en présence de l’équipe du film, vous vous intéressez de nouveau aux années du règne d’Hassan II. L’action se situe en 1986, en pleine coupe du Monde. Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce film ?

Hicham Lasri : J’ai d’abord eu une vision d’un flic sur un pont. Dieu sait qu’au Maroc, on voit beaucoup de flics sur les ponts. Il y a toujours quelque chose à défendre, à sécuriser. Puis, j’ai repensé à un des moments les plus joyeux de mon enfance: la victoire du Maroc contre le Portugal, lors de la coupe du Monde de 1986. Je m’en souviens très bien. Je voulais donc inviter ce souvenir personnel avec le passage du roi Hassan II où l’on voit les gens mettre leurs habits du dimanche car ils pensent que le roi va passer pour les voir.

Le film a beaucoup fait rire les gens à Berlin mais aussi dans les festivals où il a été projeté, au Maroc. Les spectateurs comprennent la question du Makhzen, ça fait tilt dans l’inconscient collectif !

Le siteinfo : Le film va-t-il bénéficier d’une sortie nationale ?

Hicham Lasri : Oui, on va tout faire pour. C’est programmé pour la rentrée. On est encore dans le circuit des festivals pour donner au film un maximum de visibilité. Mais il faut que les salles de cinéma fassent aussi leur travail. Même s’il s’agit d’un film plus mainstream par rapport à mes précédents films, ça reste un film art et essai. Je suis persuadé qu’il y a moyen d’intéresser un public non cinéphile.

Le siteinfo : Vous avez réalisé en 2016 un court-métrage Zamita, clip d’une chanson de Hoba Hoba Spirit. Que représente pour vous ce groupe phare de la scène musicale marocaine ?

Hicham Lasri : J’aime beaucoup leur sincérité, même leur mauvaise foi, leur côté punk, le rapport qu’ils ont avec la mauvaise foi de la société. Ce sont devenus des amis.

J’étais en montage quand j’ai entendu cette chanson. J’ai appelé Réda, le leader du groupe. Et les choses se sont faites. Je trouvais intéressant d’inventer un récit avec notamment des images d’archives.

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Le siteinfo : Vous êtes en tournage, en ce moment. Sur quels projets travaillez-vous ?

Hicham Lasri : Je travaille sur un nouveau projet digital qui sera diffusé sur internet pendant le ramadan. C’est l’histoire d’un blédard inculte, pété de thunes qui décide de monter un parti politique. Il pense qu’avec la baraka, il va changer les choses. L’idée est de tourner en dérision, en bourrique la pratique politique comme on l’a vu se développer depuis l’accession au pouvoir du PJD. C’est devenu une politique-spectacle, un marché aux puces. On revient au souk, au moussem. Après No vaseline Fatwa, ce sera No vaseline Syassa !

Le siteinfo : Si vous étiez un cri, quel serait-il ?

Hicham Lasri : Quelque chose d’infrasonique, quelque chose qui dérangerait les chiens et qui ne serait pas audible par les vieux !

Projection, en avant-première, du film HEAdbanG lullaby, jeudi 25 mai au théâtre 121 de l’Institut Français de Casablanca, à 19h30. Exposition Fawda, jusqu’au 25 juin 2017.


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