Chroniques

Casa-Rabat: l’autoroute de tous les dangers

Jalil Bennani

Par Jalil Bennani

Sortie de Casa. Des dizaines de motos font la course. Elles doublent les voitures de tous les côtés. Les automobilistes ralentissent, changent de file brusquement, tandis que d’autres se voient obligés d’accélérer. Des jeunes, souvent sans casque, défiant la route, se faufilant dans tous les espaces libres entre les voitures et roulant à une allure vertigineuse. D’autres, en voiture, ont leur corps en dehors des véhicules qui roulent à la même allure effrénée que les motos. J’assiste à une sorte de démonstration visant à montrer qu’ils peuvent braver le danger, que les uns sont plus forts que les autres, rivalisant de vitesse et de contorsions en tout genre. Agrippé à mon volant, je suis stupéfait. Afin de minimiser les risques, je regarde dans tous les sens, j’essaie de garder mes distances pour éviter toute collision.

Je crois assister au tournage d’un thriller. Mais non, il n’y a pas de caméra qui pourrait le laisser penser. Celui que je vois filmer, c’est un gendarme avec son smartphone. Un autre agent téléphone. Que font-ils ? Que peuvent-ils faire ? Ils sont trop peu nombreux pour pouvoir arrêter ces fous du guidon. Une véritable horde. Je reste effrayé par ce spectacle – il faut bien l’appeler ainsi –, persuadé qu’à chaque seconde un drame va se dérouler sous mes yeux.


Vient ensuite le temps du questionnement. Ce n’était pas une poursuite, une chasse à l’homme, une fuite, un défilé… mais un rituel, un phénomène de bande, une course au spectacle, une surenchère dans le danger, un risque de mort. Inconscience du danger ? Insouciance de l’accident ? Certainement. Mais il y a plus. Ce qui compte pour chacun des motards, c’est de rattraper l’autre, de le dépasser, de nourrir la rivalité. Les psychiatres ont donné un nom à ce comportement : ce sont des conduites à risques propres à une jeunesse à la recherche de défis, repoussant les limites et les normes. Je revois la course automobile dans le film avec James Dean, La fureur de vivre  où l’un des jeunes conducteurs y laisse sa vie. Le film date de 1955 !

Autre époque dira-t-on. Il n’en demeure pas moins qu’il existe une similitude caractéristique des temps modernes. Celle de la révolte d’une jeunesse et de ses prises de risques. Si la mort ne fait pas peur à ces jeunes, s’ils cherchent à s’en approcher, c’est qu’elle leur procure une certaine jouissance. Il y a une pensée de l’instant, celle de l’agir, qui ne comporte ni mentalisation, ni réflexion quant aux risques encourus et à leur devenir. Braver les interdits, défier les adultes, l’autorité, l’ordre. Les ingrédients de ces conduites se trouvent dans un certain désœuvrement, une quête du sensationnel, une manière de montrer et de revendiquer son existence, tout en la mettant en péril.

Nous ne sommes pas ici face à des radicalisés, endoctrinés par des gourous qui cherchent la mort comme promesse d’un avenir meilleur. Ils ne cherchent pas à porter atteinte à la vie des autres, même si les risques qu’ils prennent peuvent aussi affecter les autres. Nous pouvons avoir affaire à des conduites pathologiques, mais pas nécessairement. L’aspect pathologique se repère par l’engagement délibéré et répétitif dans la conduite à risques, portant atteinte à l’intégrité physique, psychique et sociale du sujet. Ce à quoi on assiste le plus souvent c’est à une idéalisation propre à cette période avec un caractère rituel, identificatoire au groupe, initiatique, intégratif : le jeune doit prendre des risques pour que le groupe le reconnaisse. La rue est un lieu commun aujourd’hui aux grandes villes, Casablanca, Rabat, Marrakech, Meknès, Fès, Tanger… Le risque peut être un exutoire à la violence et l’agressivité internes.

En rentrant chez moi, j’ai appris que ces jeunes partaient tout simplement en bande passer la journée à la plage. Sac à dos plutôt que casque, plaisir plutôt que morosité, ivresse de la vitesse. Ils ne savent pas que cette course peut virer au drame, ce qui arrive tous les jours sur nos routes, hélas.

Que faire ? Punir, éduquer, prévenir, soigner ? Sans doute tout cela à la fois. Car ces conduites sont une façon pour la jeunesse de lancer des appels, de nous dire qu’elle ne pense pas à l’avenir, mais à l’instant. Ces jeunes montrent du doigt la famille, la société, les pouvoirs publics. Ils sont en quête de nouvelles identités. Car l’avenir leur semble sans promesse. Car ils sont en manque de projections futures, de loisirs, d’espaces propres, de liberté.

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