Economie

Emploi dans l’énergie : ce que le rapport 2025 de l’AIE révèle des défis et opportunités pour le Maroc

Alors que le Maroc accélère sa transition énergétique, le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie vient rappeler une loi économique implacable : aucun mégaprojet ne peut prospérer sans le vivier de compétences qui lui donne vie.

L’édition 2025 du rapport World energy employment de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dresse un diagnostic mondial précis des dynamiques de l’emploi énergétique, mais il constitue aussi un miroir tendu aux stratégies nationales, dont celle du Maroc. En croisant cette analyse avec les priorités exprimées dans la presse économique marocaine, l’on perçoit à la fois des convergences stratégiques et des écarts préoccupants qui appellent une action coordonnée de tous les acteurs.

Une croissance mondiale portée par l’électricité, mais freinée par des pénuries criantes
Le rapport confirme l’accélération structurelle de l’emploi dans l’énergie, avec 76 millions d’emplois en 2024 et une croissance (+2,2%) qui devance largement la moyenne de l’économie (+1,3%). Le secteur électrique – génération, réseaux, stockage – est désormais le premier employeur, tiré par le solaire photovoltaïque qui représente, à lui seul, la moitié des créations d’emplois dans l’électricité depuis 2019.

Cette «Ère de l’électricité» est palpable, avec des répercussions sur l’industrie automobile (forte hausse des emplois dans les véhicules électriques) et l’efficacité énergétique des bâtiments et de l’industrie. Cependant, cette expansion se heurte à un goulot d’étranglement majeur : la pénurie de travailleurs qualifiés, particulièrement dans les «rôles techniques appliqués» – électriciens, monteurs de lignes, ingénieurs spécialisés.

Plus de la moitié des 700 entreprises sondées font état de difficultés critiques de recrutement. Une pénurie exacerbée par le vieillissement de la main-d’œuvre et un déficit chronique de formation. L’AIE estime que pour éviter une aggravation de cette inadéquation des compétences d’ici 2030, le nombre de diplômés entrant dans l’énergie devrait augmenter d’environ 40% à l’échelle mondiale.

Le cas du Maroc
La lecture marocaine de ce rapport mondial appelle à un double constat. D’une part, le Royaume est parfaitement aligné sur les tendances d’avenir identifiées par l’AIE. Les énergies renouvelables, l’hydrogène vert, l’industrie 4.0 et l’optimisation énergétique sont placés au cœur de la stratégie de «souveraineté énergétique nationale puis régionale», comme le souligne Nicolas Cheimanoff de l’UM6P, directeur de l’EMINES School of industrial management de l’UM6P, dans un dossier de L’Économiste publié mi-2025.

D’autre part, le rapport de l’AIE révèle des angles morts potentiels dans l’approche marocaine, notamment sur trois fronts : la survalorisation de l’ingénieur au détriment du technicien, la formation professionnelle et le financement de la montée en compétences, ainsi que la transition juste et le réemploi des compétences fossiles. Tandis que la presse du Royaume met en avant, entre autres, les «écoles d’ingénieurs qui font rêver», l’AIE alerte que les pénuries les plus aiguës touchent les rôles techniques appliqués, qui constituent plus de la moitié de la main-d’œuvre énergétique.

Le Maroc forme-t-il assez d’électriciens et de techniciens de maintenance hautement qualifiés pour ses futurs parcs solaires et éoliens, et surtout pour ses réseaux de transport et de distribution ? Le risque est de créer une élite d’ingénieurs sans disposer de la base technique indispensable pour construire et maintenir les infrastructures.

L’AIE identifie clairement les coûts de formation et les salaires perçus comme principaux freins à l’entrée dans les métiers de l’énergie. Elle chiffre même le besoin d’investissement dans les capacités de formation à 2,6 milliards de dollars par an au niveau mondial. La question pour le Maroc est : quel plan de financement massif et ciblé pour les filières professionnelles et techniques de l’énergie ? Les politiques «de bourses ciblées, d’apprentissage et de campagnes de promotion des carrières professionnelles dans l’énergie», préconisées par l’AIE, sont-elles suffisamment développées et dotées ? Le rapport de l’AIE note que 50% des travailleurs des combustibles fossiles souhaitent rester dans le secteur de l’énergie s’ils changent d’emploi, et que les deux tiers des travailleurs du pétrole et du gaz pourraient être reconvertis avec une formation ciblée.

Le Maroc, bien que moins dépendant des fossiles que d’autres, gagnerait à intégrer cette dimension dans sa planification. La question qui se pose est de savoir comment valoriser le savoir-faire existant dans les secteurs traditionnels de l’énergie et de l’industrie pour alimenter les nouveaux chantiers verts.

L’AIE parle de «réévaluation» des rôles de chaque acteur
Le rapport de l’AIE impose une réévaluation stratégique des rôles de chaque acteur économique marocain face à la transition énergétique. Pour les pouvoirs publics, le défi est de transcender la vision traditionnelle centrée sur l’excellence académique des ingénieurs pour opérer un rééquilibrage budgétaire et politique urgent en faveur des filières techniques et professionnelles.

La viabilité même de la politique industrielle et d’attractivité des investissements, notamment dans les énergies renouvelables et l’hydrogène vert, est directement menacée par les pénuries de compétences techniques appliquées. Il leur incombe de catalyser une collaboration public-privé effective, qui dépasse le stade de l’intention – seulement un quart des entreprises y participent, selon l’AIE – pour co-construire des cursus adaptés et financer massivement l’ascenseur social vers ces métiers.

Les entreprises, quant à elles, ne peuvent plus se contenter d’une posture passive de consommatrices de talents. La pression mondiale – avec près de 50% des firmes formant en interne ou recrutant dans des secteurs voisins – les oblige à devenir des acteurs de la formation, via le sponsoring d’étudiants, l’apprentissage et des partenariats structurants avec les écoles.

Dans un marché du travail de plus en plus concurrentiel, leur offre doit évoluer : les salaires, la sécurité et la qualité de l’environnement de travail deviennent des arguments décisifs pour attirer et retenir les profils techniques précieux.

De leur côté, les établissements de formation doivent impérativement décloisonner leurs programmes et les aligner sur les besoins opérationnels du terrain, en intégrant systématiquement les formats d’alternance. Leur mission inclut désormais une promotion active et ciblée de ces carrières, en particulier auprès des femmes – un levier majeur identifié par l’AIE – et l’utilisation pragmatique d’outils comme l’IA pédagogique pour mieux simuler les environnements professionnels et préparer aux métiers en tension.

Enfin, pour les Jeunes et les travailleurs, le paradigme a changé : les opportunités sont réelles et nombreuses, mais conditionnées à une démarche proactive d’orientation vers les filières techniques et à l’adoption d’une logique de formation permanente. La transition offre des passerelles de reconversion, notamment depuis les secteurs fossiles.

Toutefois, celles-ci nécessitent une volonté individuelle soutenue par un écosystème de formation continue accessible et reconnu, garantissant la sécurisation des parcours professionnels dans une économie en mutation.

Un avertissement pour tous

Le rapport de l’AIE 2025 sonne comme un avertissement lucide dans un contexte de croissance énergétique mondiale. Pour le Maroc, dont les ambitions vertes sont réelles, le défi n’est plus seulement de lancer des mégaprojets, mais de bâtir, dans le même temps, le capital humain qui les rendra possibles, durables et créateurs d’emplois de qualité.

La course à la souveraineté énergétique se gagnera aussi dans les salles de classe des lycées techniques et les centres de formation professionnelle. Comme le conclut l’AIE, une «action coordonnée des gouvernements, de l’industrie et des représentants des travailleurs» est la seule voie pour éviter que les pénuries de compétences ne deviennent le «goulot d’étranglement déterminant» de la transition.

Bilal Cherraj / Les Inspirations ÉCO



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