OPINION DU WEB

Mon père disait: qu’est-ce que l’éducation des adultes?

par Adib Elmachrafi, journaliste et animateur radio de l’émission « Vol de nuit ».

Le problème de l’éducation des adultes est un sujet passionnant qui revêt, de nos jours, une importance exceptionnelle pour tous les pays, mais plus particulièrement en direction des populations sous-développées qu’un accident historique a momentanément placées sous l’emprise d’une domination étrangère.
Problème capital, l’éducation des adultes vise avant tout à l’émancipation de l’individu et à sa libération, au sens général du terme ; elle a aussi pour objet de faire comprendre aux masses populaires que la vie a un sens et que chacun de nous a un rôle à remplir dans la société.
L’éducation des adultes n’est donc pas une philosophie, mais bien, comme elle a été définie si justement, une sorte «de protestation d’hommes généreux qui se sont élevés contre l’inégalité de partage des biens culturels».
Nous n’avons pas, bien entendu, la prétention de porter d’emblée les masses marocaines, marquées encore par l’empreinte d’un récent passé fait de renoncement et d’ignorance, au stade où elles seraient à même d’agir et de créer.
Redonner à ces adultes, de toutes classes sociales, la confiance, les rendre conscients de leur valeur et surtout, susciter en eux ce mouvement de solidarité, caractéristique des pays réellement indépendants et forts, voilà ce que propose d’atteindre le mouvement de l’éducation des adultes en s’attaquant, au départ, à l’alphabétisation des masses; il s’agit d’une véritable croisade contre l’ignorance, par le biais de leçons appropriées destinées à apprendre à ces grands commençants d’abord à lire, à écrire et à compter en un temps record.
Mais l’alphabétisation n’est pas une fin en soi, car l’éducation des adultes, conçue sous une forme intelligente et dynamique, doit leur permettre de vivre pleinement leur vie, pour pouvoir, aussi rapidement que possible, participer à la rénovation du pays sur tous les plans : politique, social, économique et culturel.
C’est cette éducation, bien comprise, qui permettra l’épanouissement harmonieux de la personnalité de ces hommes, en mettant à leur disposition un outil de travail capable de leur donner la force dont ils ont besoin et leur inspirer cette confiance et cette maîtrise sans lesquelles le succès ne peut être espéré.
Il faut donc que l’éducation des adultes puisse permettre aux masses marocaines de rattraper le temps perdu, en leur apprenant à lire, à écrire, à compter ; mais aussi et surtout, qu’elle permette à tous les adultes, hommes et femmes, de trouver un sens à leur travail quotidien, de pouvoir employer leurs loisirs d’une manière intelligente et créative, de s’acquitter ensuite au mieux de leur devoir politique de citoyens d’un Maroc moderne et libre. L’éducation des adultes vise enfin à ce qu’ils aient une juste conception de la vie, avec tous les avantages et toutes les certitudes qu’elle comporte, pour chacun de nous.
Surtout, pas d’éducation qui prépare à l’obéissance aveugle, mais une éducation ayant essentiellement pour objet d’émanciper l’individu, en le libérant de la crainte et de la peur sous toutes ses formes, une éducation qui dissipe ses inquiétudes et mette chaque citoyen devant ses responsabilités.
C’est d’ailleurs en cela que consiste le véritable exercice de la liberté ; car elle n’a de sens que dans la mesure où elle nous « libère » de nos instincts grégaires, et nous permet, dans un effort réfléchi, d’orienter notre action vers un idéal jamais atteint, en vue du bien de la Communauté à laquelle nous appartenons.

Il n’y a là, par conséquent, aucune idée de dressage, puisqu’il vise, par définition, à une sorte de nivellement des valeurs qu’une éducation bien comprise -qu’elle s’adresse aux jeunes ou aux adultes- ne saurait accepter.

Il n’est pas non plus question d’embrigader des masses bien qu’il soit relativement facile de se faire obéir, en imposant la force, au moins momentanément ; mais de faire évoluer chacun progressivement, en tenant compte de son individualité propre, du milieu où il vit et du passé auquel il reste fortement attaché par des liens puissants.
Cette dernière conception de l’éducation est évidemment plus difficile, puisque au lieu de procéder de l’extérieur, elle agit sur les hommes du dedans ; elle a aussi un caractère démocratique, ce qui n’est pas un mince avantage. Car le système démocratique a ceci de particulier qu’il accepte la discussion. Génératrice de progrès, elle n’est possible qu’entre hommes de bonne volonté, conscients de leur identité ; et lorsque cette identité a trouvé enfin le terrain favorable à son épanouissement, une prise de conscience et un progrès sur soi sont possibles ; c’est alors seulement que l’on peut parler de liberté véritable et de réelle indépendance.
Il est donc clair que l’alphabétisation des masses n’est qu’un moyen, mais un moyen efficace et puissant susceptible de redonner aux masses populaires la force et la vitalité nécessaires grâce auxquelles elles pourront, dans un effort commun, améliorer peu à peu leur niveau de vie pour accéder ensuite à une vie pleinement active, digne et profitable à toute société.

 «Une société où il n’existe pas un enfant, un pupitre, un encrier, un porteplume est une société en perdition.»


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