Culture

Les Nuits photographiques d’Essaouira priment le photographe Marc Belli (vidéo)

par Olivier Rachet

Les premières rencontres photographiques d’Essaouira se sont déroulées du 6 au 8 octobre dernier. Marc Belli a remporté le premier prix du festival, dans la catégorie « Photographes internationaux », pour sa série intitulée « Bilmawen, du sacréà l’infâme ». Graphiste de formation et directeur artistique, le lauréat est passionné par les cultures du Maroc et par les jardins. Il vit entre Paris et Taroudant où il cultive un jardin d’agrément. Les portraits des «Bilmawen» (terme amazigh désignant des hommes recouverts de peaux d’animaux, l’équivalent en darija des «Boujloud») sont l’occasion de revenir sur un rituel peu connu, qui suit la célébration de l’Aïd el Kebir, dans certaines régions du Haut-Atlas Occidental.

Le siteinfo : Vous venez de remporter le premier prix des Nuits photographiques d’Essaouira, dans la catégorie« Photographes internationaux ». Pouvez-vous présenter le projet photographique qui a été le vôtre ?

Marc Belli : Je passe beaucoup de temps dans les environs de Taroudant, au pied du Haut-Atlas dans la vallée du Souss, région à forte densité de population Amazigh. Un jour, en visitant les villages de montagnes, je suis tombé nez-à-nez avec l’un de ces personnages. Après renseignement, j’ai compris qu’il s’agissait d’une pratique locale qui avait lieu au lendemain de l’Aïd el Adha ou Tafaska en Amazigh. Dans les villages berbères, les jeunes se déguisent pendant trois jours. Ils revêtent les peaux encore sanguinolentes des moutons ou boucs sacrifiés la veille et qu’ils confectionnent à l’aide de bouts de ficelles. Il faut environ 5 peaux de bêtes pour faire un costume et une tête pour le masque.

Ce qui m’a frappé, c’est la créativité avec laquelle ces jeunes se construisent un personnage. Il y a dans cette création une théâtralité qui m’a littéralement fasciné, une forme d’ »incarnation » au sens propre. Je réalisais que j’assistais à quelque chose de très enraciné dans le passé. Les jeunes que j’interrogeais me répondaient qu’ils avaient toujours fait ça, comme avant eux leurs parents et leurs grands-parents. Ils perpétuaient un rituel ancestral sans forcément en comprendre ni le sens, ni l’origine.

En faisant des recherches sur ce que je venais de découvrir, je suis tombé sur le livre d’Abdallah Hammoudi,La victime et ses masques – « Essai sur le sacrifice et la mascarade au Maghreb », publié au Seuil en 1988. Hammoudi, anthropologue et professeur à Princeton, est parti étudier dans les montagnes du Haut Atlas, pour le compte du gouvernement, l’impact du sacrifice du mouton sur le cheptel agricole marocain. Il découvrit à cette occasion le rituelbilmawen. Il s’est mis alors à étudier la relation entre le rituel de l’Aïd et la mascarade qui s’en suit. Il en a déduit ceci : « …une telle contradiction cadre si peu avec les théories classiques du rituel qu’on a préféré y voir un effet résiduel, où sous le rite musulman se cacheraient les survivances de coutumes romaines, chrétiennes, voire d’une religion berbère originelle. Mais une description systématique de ce drame cyclique montre qu’il n’en est rien et que sacrifice et mascarade procèdent d’un même processus rituel cohérent et orienté à travers lequel une culture se donne une représentation d’elle-même et met en scène ses propres tensions… »

Cette tradition est très circonscrite dans les régions du Haut-Atlas occidental, dans le triangle Agadir, Taroudant, Imintanout. Le rituel se produit surtout dans les villages de montagne. Ce sont les jeunes hommes célibataires, entre 15 et 20 ans environ, qui se costument. Le bilmawen est en quelque sorte un rite de passage à l’âge adulte. Habillés de peaux de bêtes, ils vont ainsipartout dans les campagneset les villages, entrent dans les maisons, poursuivent les habitants en leur donnant des coups de sabots. Tout le monde y passe, hommes, femmes, enfants et jeunes filles. La mascarade dure trois jours et trois nuits pendant lesquelles les bilmawens renversent tous les codes instaurés, ils sont dans la transgression totale. L’anthropologue Abdallah Hammoudi, avec lequel je me suis entretenu sur le bilmawen, s’émerveillede la survivance d’un telrituel.

Le siteinfo : Avez-vous eu des problèmes pour les photographier ?

Marc Belli : J’avoue qu’il n’a pas été facile de les photographier. Surtout pour les portraits posés avec lesquels je voulais capter l’essence même de la théâtralité. Ce qui me fascine est la beauté antique et la dramaturgie de ces personnages. Les Bilmawensme rappellent les faunes du théâtre antique grec. D’ailleurs, beaucoup pensent qu’il s’agit d’une survivance de l’antiquité romaine. Abdallah Hammoudi pense, au contraire, que cela est lié au rite du sacrifice musulman et n’est pas issud’une pratique païenne.

La première difficulté à les photographier vient du fait de ma présence ressentie comme une intrusion dans ce rituel, elle a pu parfois provoquer des contestations ou même des émeutes qu’il a fallu calmer. La difficulté vient aussi de l’agitation permanente des Bilmawens, qui sont tout le temps en représentation. Ils ne cessent de courir partout pour poursuivre quiconque s’en approche.Ils sont dans un étatsecond. Il m’est arrivé de prendre des coups de sabot pendant une prise de vue.

Le siteinfo : Pouvez-vous préciser comment ce projet s’inscrit dans le parcours artistique qui est le vôtre ?

Marc Belli : Je pratique la photo, mais je ne suis pas photographe au sens professionnel. Ma profession est la direction artistique pour la presse magazine (actuellement pour les éditions internationales deMarie-Claire). La photographie est au cœur de mon métier, alors forcément je la connais bien et la pratique souvent, la plupart du temps par procuration avec des photographes collaborateurs. Etant graphiste de formation, la photographie m’offre un formidable outil de travail pour la réflexion. Parfois il m’arrive de m’attarder sur un sujet, comme ça été le cas pour les Bilmawens.

Le siteinfo : Pourquoi avoir privilégié le noir et blanc pour cette série photographique ?

Marc Belli :J’ai de belles images de Bilmawens en couleur mais j’ai préféré les traiter en noir et blanc pour renforcer la dramaturgie du sujet. Parfois en guise d’ornement, les Bilmawens piquent au sommet de leur masque un petit bouquet de bougainvilliers fuchsia ou d’œillets d’Indes jaune vif. Je trouvais le détail très beau et poétique. Un jour, j’ai eu l’idée de rapporter des roses de mon jardin à Taroudant pour les leur offrir, j’ai ainsi pu réaliser quelques beaux portraits d’eux avec mes roses.

Le siteinfo : Cette première édition des Nuits photographiques, organisée par l’association Essaouira nuits photographiques, a proposé durant trois jours des expositions et de nombreuses rencontres entre professionnels et amateurs de la photographie d’art au Maroc. Pouvez-vous revenir sur les conditions de sélection ?

Marc Belli :Je crois qu’il y a eu un appel à candidature d’une part et des invitations d’autre part, j’ai répondu à une invitation.

Le siteinfo : Quels souvenirs garderez-vous de cette manifestation ?

Marc Belli :Excellent malgré quelques couacs d’organisation. Ce premier festival a été une réussite, tant par la qualité de son contenu que par la présence de tous les photographes et de l’invité d’honneur du festival, Daoud Aoulad-Syad. Le moment fort du festival fut la projection en plein air sur l’écran géant dressé sur les remparts. Ouverte au public, la projection a généré une belle ambiance très enjouée, une vraie fête populaire.

Le siteinfo : Quels sont vos projets à venir ? Une exposition de vos travaux est-elle en préparation ?

Marc Belli :Je suis invité à participer aux Nuits photographiques de Pierrevert.
Je projette de publier un livre de ces photos de Bilmawens. Je cherche actuellement un éditeur, et ce prix, je l’espère, me facilitera la tâche. Si le projet se réalise, j’aimerais qu’Abdallah Hammoudi y contribue pour les textes.

J’ai dans mes cartons beaucoup d’autres sujets photographiques en lien avec le Maroc que j’aimerais voir exposés ou publiés. J’ai une passion pour ce pays et sa culture, un faible pour ce qui est en voie de disparition comme les confréries soufies, les pratiques magico-religieuses ou autres rebouteux, les herboristes, les métiers du bâti traditionnel comme le pisé, les fêtes populaires, la liste est longue.

O.R.


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