Chroniques

Violences à l’école: les racines du mal

Par Jalil Bennani, psychanalyste

L’élève a-t-il le droit de frapper l’enseignant ? L’enseignant a-t-il le droit de frapper l’élève ? À ces deux questions la réponse est évidemment: « Non ! ». Pour des raisons ayant trait à la morale, à l’éducation, au civisme, à la loi. C’est pourtant arrivé chez nous. Et cela s’est répété en différentes contrées du pays. De nombreuses voix, relayées par les médias et les réseaux sociaux se sont élevées pour dénoncer cette violence. On s’étonne que cela arrive, on dénonce la dégradation de l’enseignement public, la perte des valeurs, la faillite de l’éducation.

Il s’agit d’un côté d’une transgression vis-à-vis du respect due aux enseignantes et aux enseignants, de l’autre d’un abus d’autorité, d’une humiliation infligée par le professeur à l’élève, tout aussi punissable.

Comment interpréter cette violence ?  


Il existe un lien étroit entre le niveau individuel et le niveau collectif, avec des effets réciproques de l’un sur l’autre, au point d’aboutir à une confusion des deux. Il en découle une perte de repères, générant de fortes angoisses chez les individus, les familles, la société.

Il ne faut donc pas attribuer cette violence uniquement à la personne qui l’exerce ou la subit. Celle-ci représente le maillon faible de tout un système. Quand une violence est généralisée au sein d’un groupe, ce sont les plus fragiles qui la subissent ou qui passent à l’acte.

Les enseignants, en perte d’autorité et de pouvoir, voient leur influence diminuer, leurs valeurs bafouées. Leurs propres frustrations peuvent les conduire à un désintérêt, une indifférence, et au rejet de l’élève. À défaut de pédagogie et de psychologie, ils essaient d’imposer la discipline, fût-ce en assénant des coups. En vain. Le mal est plus profond.

Il faut donc se pencher sur la psychologie et le contexte générationnel des élèves. Aujourd’hui, nombre d’entre eux vivent ce que les psychiatres appellent des « conduites à risques » : comportements dangereux, défis, provocations, prises de drogues… Les jeunes vivent en groupe. Le héros, c’est celui qui prend des risques, ose, provoque. Le risque peut même devenir un rite initiatique d’intégration à la bande. Dans les vidéos diffusées de ces scènes de violence en classe, on a vu des jeunes assister passivement à la brutalité de l’élève vis-à-vis de son professeur, voire certains en rire. Dans un autre contexte, la passivité et le voyeurisme accompagnaient un viol collectif dans un bus…

Le déséquilibre social, le bouleversement, la perte de repères, aboutissent à des surgissements de la destructivité. Dans le psychisme, deux grands groupes d’instincts coexistent : les instincts de destruction, agressifs, et les instincts d’amour. Dans la vie en communauté, les seconds, instincts de conservation, triomphent. Dans les situations de crise, de conflit, de guerre, les pulsions de haine prennent le dessus sur les pulsions d’amour.

En psychanalyse, cette destructivité est pensée dans son rapport avec les idéaux. Les idéaux de vie, à savoir les règles régissant la civilisation, les lois, les interdits, sont parfois déviés par les idéologies politiques, religieuses. Dans le domaine politique, la répression et les coercitions peuvent être exercées au nom du droit ; dans le domaine religieux, les phénomènes de radicalisation sont la conséquence de ces déviations.

La violence, présente dans notre société, connaît des développements nouveaux.  Rien ne sert de dire : « C’était mieux avant » car rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, toutes les violences sont dénoncées de manière quasi-instantanée par les réseaux sociaux. Autrefois, nous n’avions pas accès aux moyens d’information actuels. Et la violence actuelle doit être historicisée car elle est le résultat d’une évolution qui a débutée il y a plusieurs décennies. Le passé est connu, le futur ne l’est pas.

Nous assistons à des situations nouvelles du monde contemporain qui s’imposent à nous : la radicalisation, le terrorisme, le racisme ordinaire, la xénophobie, le rejet de l’autre. C’est pourquoi il nous faut repenser nos discours et nous pencher sur toutes les causes de la violence, en se gardant des réponses toutes faites. Il faut être à l’écoute de l’autre, quelle que soit sa position sociale, son âge, le rencontrer, se pencher sur ses souffrances, sa détresse. Une issue peut émerger de la crise grâce à une approche nouvelle, un dialogue, une parole ouverte sur l’avenir, loin des nostalgies et discours convenus et passéistes.

 

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