Épopée : il était une fois la Marche Verte

Le 6 novembre 1975, 350.000 Marocains répondaient à l’appel du Roi Hassan II pour une marche pacifique vers le Sahara. Armés de leur foi, du Coran et du drapeau national, ils allaient inscrire l’une des plus grandes pages de l’histoire du Maroc moderne. La Marche Verte, symbole de paix, d’unité et de génie politique, reste à ce jour un modèle unique de libération pacifique et de communion.
Le 6 novembre 1975 demeure une date gravée dans la mémoire collective du peuple marocain, un jour où l’histoire s’est écrite à la fois dans la foi, la dignité et la paix. Ce jour-là, 350.000 volontaires, hommes et femmes venus des quatre coins du Royaume, se sont levés pour répondre à l’appel du défunt Roi Hassan II et marcher vers le Sahara.
Ce fut la Marche Verte, un événement qui a bouleversé les équilibres politiques, inspiré les peuples, et immortalisé le génie d’un souverain visionnaire. Dès le début des années 1970, le Roi Hassan II s’était attelé à résoudre pacifiquement la question du Sahara marocain, alors encore sous occupation espagnole. Les négociations engagées avec le régime du général Franco furent longues et ardues.
L’Espagne, intransigeante, refusait toute idée de restitution du territoire, oscillant entre la défense d’un statu quo colonial et la proposition d’une indépendance artificielle de cette région, pourtant liée historiquement et spirituellement au Maroc. Mais l’avancée en âge du dictateur espagnol et l’affaiblissement progressif de son régime allaient changer la donne.
Lors d’une rencontre avec le secrétaire d’État américain Henry Kissinger, le 15 octobre 1974, Hassan II avait résumé la gravité de la situation d’une formule restée célèbre : «L’existence d’un État dans le Sahara équivaut à l’acceptation par les États-Unis de la présence des missiles soviétiques à Cuba». Il affirmait ainsi que le Sahara faisait partie intégrante du Maroc et qu’aucune indépendance imposée ne serait tolérée.
Le Souverain ajouta avec fermeté : «Si l’Espagne annonce dans la matinée l’indépendance du Sahara, je donnerai l’ordre à l’armée de s’y introduire à 11 heures». «Il ne nous reste donc qu’à…» La conviction du Roi reposait sur des bases solides. Le Maroc disposait de titres historiques irréfutables, rappelés notamment dans les archives françaises de 1955 qui mentionnaient que les villes du Sahara étaient administrées par les autorités marocaines.
Aussi, Hassan II attendait avec confiance l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ), saisie pour trancher la question du Sahara. Après plusieurs semaines d’audiences, la CIJ rendit son avis le 16 octobre 1975. La Cour reconnut formellement l’existence de liens d’allégeance entre les tribus sahraouies et les Sultans du Maroc, ainsi que des liens économiques et politiques entre le territoire et le Royaume. Si la décision demeurait juridiquement ambiguë, elle validait néanmoins le bien-fondé historique et moral des revendications marocaines.
Ce même jour, le Roi Hassan II prit la parole dans un discours mémorable : «Il ne nous reste donc qu’à entreprendre une marche pacifique du Nord au Sud pour nous rendre au Sahara et renouer avec nos frères».
La Marche Verte fut organisée dans le plus grand secret, avec une minutie exemplaire. Sa préparation, confiée à une logistique d’État sans faille, devint un modèle de planification. Tout fut prévu : ravitaillement, soins médicaux, encadrement, transport, communication et vie collective dans les camps. Les marcheurs, regroupés par villes et tribus, s’organisaient en autogestion dans une atmosphère d’unité et de ferveur.
Tarfaya fut choisie comme point de rassemblement. De là, 350.000 volontaires, dont 10% de femmes, s’apprêtaient à franchir pacifiquement la ligne de démarcation vers le Sahara marocain. Ce fut une marche sans armes, sans violence, mais d’une puissance morale inédite. En unissant mobilisation nationale et idéal de paix, Hassan II démontra qu’un peuple pouvait reconquérir sa dignité et ses droits par la foi, la discipline et la sagesse.
La Marche Verte fit basculer la perception internationale du conflit. Elle révéla l’ingéniosité politique du défunt Souverain et la maturité d’un peuple tout entier. De fait, cette initiative marqua une rupture dans la «grammaire internationale» des décolonisations. Jamais auparavant un territoire n’avait été libéré par une mobilisation pacifique d’une telle ampleur.
Le 6 novembre 1975, à l’heure convenue, la Marche Verte se mit en mouvement. L’image de ces centaines de milliers de drapeaux marocains flottant au vent, des visages illuminés par la foi et la détermination, demeure l’un des plus puissants symboles de l’histoire contemporaine. Lorsque le Roi demanda l’arrêt de la marche, le peuple obéit aussitôt. La mission était accomplie. Le Maroc venait de réaffirmer pacifiquement son unité territoriale, son identité et sa souveraineté.
La Marche Verte fut ainsi à la fois une épopée politique et une prière collective. Elle incarna l’esprit d’un peuple uni autour de son Roi, réconcilié avec son histoire et fidèle à sa vocation pacifique. Elle donna au monde une leçon de dignité et de détermination, tout en offrant un modèle inédit de libération nationale.
Ce jour-là, le Maroc a prouvé que la foi et la paix pouvaient être des armes plus puissantes que les canons. Et, depuis, la Marche Verte reste, pour le Royaume et pour le monde, le symbole éternel d’une volonté nationale guidée par la foi, la sagesse et le génie d’un Roi.
Le génie d’un Roi
L’idée de la Marche Verte avait germé longtemps dans l’esprit du Souverain. Dans un entretien accordé au journaliste Éric Laurent, publié plus tard dans «La Mémoire d’un Roi», Hassan II raconta que l’idée lui était venue comme une inspiration divine, une nuit d’août 1975. Alors qu’il préparait le discours du 20 Août, il fut soudainement éveillé par une vision : celle de milliers de Marocains défilant dans les rues pour réclamer le retour du Sahara à la mère-patrie.
Cette vision allait devenir réalité quelques mois plus tard sous la forme d’un immense rassemblement populaire et pacifique. Pourquoi l’appeler «Verte»? Le défunt Roi lui-même en donna l’explication : le vert est la couleur de l’islam, symbole de paix et de foi. La Marche Verte fut donc bien plus qu’un acte politique. Elle fut un acte de foi, une prière en mouvement, un cri pacifique porté par la certitude que la justice divine accompagnait les pas des marcheurs. Ceux-ci brandissaient le Coran et récitaient des versets, avançant avec une discipline exemplaire. Le monde entier regardait, stupéfait, cette mer humaine en marche, à jamais unie.
Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO










