Chroniques

Achoura, une fête devenue synonyme de danger

Jalil Bennani

Par Jalil Bennani, psychiatre et psychanalyste

C’est devenu un rituel des temps modernes. Depuis quelques années, à l’occasion de la fête de l’Achoura, des dizaines de jeunes continuent de terrifier les passants avec des pétards, des fumigènes, des jets d’œufs, des substances liquides, des détritus blessant des personnes, atteignant surtout les enfants en causant des traumatismes des yeux, les dégâts matériels, n’étant pas en reste. Jubilation pour les uns, cauchemar pour les autres.

Pourquoi ces attaques ? Pour se défouler, provoquer, faire peur, contester ? Sans doute tout cela à la fois. La fête est souvent le moment où l’on se relâche, on se détend et on partage des réjouissances et des joies. Les enfants reçoivent des tambours, des pistolets à eau, des jeux vidéo… Mais ce sont les explosifs avec leurs flammes et leurs bruits qui emportent aujourd’hui l’adhésion de certains jeunes préadolescents et adolescents. Le défoulement, voire le déchainement est toujours le fait d’une bande, avec un meneur et d’autres qui doivent suivre le mouvement pour être intégrés au groupe. C’est une sorte de rituel d’initiation. L’occasion est donc belle.


En se réunissent autour d’un feu, en faisant exploser des pétards, en lançant des mini-fusées, ils ressentent une jouissance d’un type particulier. Et puis, il y a la volonté de maitrise du feu qui provoque un sentiment de toute puissance, de pouvoir, une manière pour chacun de faire preuve de courage et de force.

Le feu a toujours exercé une sorte de fascination sur l’homme. Dans l’ancien testament, le feu est lié à la présence de l’action divine. Au Moyen Âge, c’est devenu le symbole de la sagesse, de l’amour… C’est aussi l’élément qui lave les péchés, un moyen de purification. Le philosophe français Bachelard, dans son livre La Psychanalyse du feu, parle de la dimension sacrificielle. C’est une sorte de renouvellement, de retour à un rituel ancien, dans une forme archaïque.

Achoura est aujourd’hui l’occasion de deux journées de jeûne purificateur dans le monde musulman sunnite, la veille et le jour du 10 Moharram, censées expier les pêchés commis au cours de l’année. Mais la religion, on le sait, n’a pas effacé les croyances ancestrales antéislamiques. Le feu en fait partie. Des offrandes et mets particuliers sont offerts. D’autres pratiques y sont associées. On sait par exemple que des femmes attendent ce jour pour s’adonner à des pratiques magiques (shour) à l’encontre de leurs ennemis, proches ou lointains, avec la volonté de nuire, ou de les soumettre à leur merci.

Résurgence de cultes anciens, réinterprétation du religieux, association de coutumes culturelles, violence de la modernité se mêlent pour donner un visage nouveau à cette journée. De là il n’y a qu’un pas vers les débordements avec des actes de provocation et d’agressivité destinés à déclencher la peur et à défier la loi devenant un prétexte à la violence. Achoura, cette fête religieuse, devenue au fil des ans celle de l’enfance et de l’innocence, peut virer alors au drame. L’insouciance de certains jeunes, l’absence de contrôle parental et d’encadrement social sont en cause. Il est vrai que les traditions ont changé, mais pas toujours dans le bon sens.

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