Chroniques

Au Maroc, les pratiques ancestrales ont la peau dure

Jalil Bennani
Jalil Bennani

Par Jalil Bennani, psychiatre et psychanalyste

Les pratiques ancestrales ont la peau dure. Ni les accusations, ni les échecs, ni même la religion n’ont eu raison de leur persistance. Une femme (ou un homme) voulant garder son compagnon recourt à des sorciers faisant usage de la magie, à des charlatans pour tenter d’envoûter son ami, fiancé ou conjoint. Les procédés sont multiples : utilisation de photos, vêtements, sperme, urines… Les faiseurs de sorts ne reculent devant rien et rivalisent en procédés extravagants avec plus ou moins d’ingéniosité face à des personnes incrédules.

La magie appartient au registre du désir, comme l’ont relevé les anthropologues. Désir de posséder, de s’approprier l’autre, mais aussi désir de détruire, selon qu’on s’adresse à l’être aimé ou à la personne haïe. Surréaliste, irrationnelle et pourtant non dépourvue de logique, de rationalité propre. Le sorcier s’appuie sur le désir pour le transformer en une matérialité, et inversement il utilise des éléments matériels pour induire des états psychiques. Un aliment, un produit, un animal ou même un objet peuvent être utlisés pour faire croire, tel un tour d’illusionniste, que des matières malsaines sont extraites du corps. Des produits peuvent être ingérés, à l’insu de la victime, en produisant inévitablement des effets.

La liste serait longue. De nombreux facteurs se conjuguent pour perpétuer ces pratiques. L’ignorance certes, l’inculture, l’indigence de l’esprit. Une forme de naïveté aussi : celle qui s’apparente à l’enfance car à cette période de la vie, la pensée magique fonctionne pleinement. Mais que l’on ne s’y trompe pas. La croyance en la magie n’affecte pas que les couches populaires. On trouve de riches faiseurs de sort et leurs adeptes dans les classes sociales aisées.


Une certaine homogénéisation des conduites, une standardisation des modes de vie, liées à la conjoncture mondiale engendrent un développement des particularismes et des revendications identitaires. Toute non réponse de notre modernité face aux douleurs, déchirements, conflits et frustrations, nombreuses aujourd’hui dans notre société (on le voit bien chez les jeunes) peut concourir à un recours aux pratiques ancestrales. La science, on le sait, n’a pas réponse à tout. Certes la parole se délie, les critiques sociales sont nombreuses, mais les modes d’expression relèvent bien plus souvent de défoulements que d’analyses approfondies ou même de simples remises en question des individus : on préfère rechercher des causes externes à soi. Les objets externes viennent remplacer les mots et donner l’illusion de trouver, réparer, résoudre les problèmes.

Les psychiatres, psychologues et psychanalystes sont confrontés à ces questions. Et c’est précisément par les mots, par le travail sur les conduites, la levée des inhibitions et des angoisses qu’ils peuvent concourir, à côté d’autres acteurs sociaux et des décideurs politiques, à faire régresser ces pratiques, tout en reconnaissant leur portée symbolique.

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