Chroniques

Koun rajel-kouni mra,  un faux débat ?

Jalil Bennani
Jalil Bennani

Par Jalil Bennani, psychiatre, psychanalyste 

L’été est là. Les vacances, le soleil, la mer, les loisirs. Ces moments de détente ont été pour certains l’occasion de lancer une campagne sous le slogan  « Sois un homme ». À quoi fallait-il s’attendre sous cette injonction ? À être courageux (on le dit aux enfants quand ils grandissent) ? À prendre ses responsabilités (dans sa famille, son travail) ? À affirmer sa différence sexuelle (un homme comparé une femme) ? Point de tout cela. Il s’agissait là de s’adresser à la femme. Pour quoi faire ? Lui montrer le rôle de chacun dans la famille, dans la société ? Non, ce n’est pas cela non plus. « Sois un homme » signifiait dans cet appel « Couvre ta femme », « Cache son corps ». Voici donc la responsabilité de l’homme ramenée à la gestion de la femme, et la femme réduite à son corps.

On pouvait s’attendre à une réplique, qui n’a pas tardé, sous la forme des slogans « Sois une femme » et même « Sois une femme libre », allant à l’opposé des précédents : la femme est soutenue pour se vêtir comme elle le désire dans l’espace public, gérer sa liberté, assumer son rôle dans la famille, le travail, la société. Guerre légitime, bien paradigmatique de la situation de la femme et de l’homme dans notre société. En se référant à une tradition imaginaire, les auteurs de cette campagne opèrent une opposition factice, erronée et stérile entre tradition et modernité, comme si autrefois la femme était accoutumée à couvrir son corps et à n’être que l’objet du désir des hommes. Que l’on en juge par les photos circulant sur les réseaux sociaux de femmes en bikini sur nos plages dans les années cinquante ! Que l’on se penche sur les chants traditionnels des femmes qui chantent en darija l’amour et le désir ! Les conservateurs, jaloux et effrayés par les évolutions sociales, créent des oppositions artificielles entre cultures et entre sociétés, dans un refus de vivre son temps.

Mais de quoi parle-t-on lorsqu’on définit l’homme et la femme ? Se penche-t-on vraiment sur leurs différences ? On oublie que la définition des rôles est normée sur le plan anthropologique et historique. Éduqué dans une société, dans une famille, un enfant apprend ce qu’il doit faire, ce qu’il doit entendre par être un homme ou être une femme. Les appellations sont liées à des productions culturelles et idéologiques définissant les rôles et les pratiques sexuelles. Les désirs et les pratiques sexuelles appartiennent à une époque et s’inscrivent dans des discours. Un homme aujourd’hui n’est pas seulement celui qui possède un pénis et des muscles. Sa virilité passe par d’autres représentations qui sont celles de son autorité, ses responsabilités, sa respectabilité. Une femme n’est pas seulement celle qui enfante et se met au service de l’homme. Elle a ses responsabilités, ses attributs propres et tient un rôle, au delà de son sexe et de son corps.

Le corps n’existe pas dans l’absolu. Il n’existe pas en soi. La différence sexuelle a été au centre de débats psychanalytiques, philosophiques, anthropologiques, sociologiques, idéologiques et religieux. L’identité sexuelle est traversée par les désirs et les représentations culturelles. Alors, au nom de quoi certains viendraient dire, dicter, asséner « Voici ce qu’est une femme », « Voici ce qu’est un homme » ? Nul ne peut s’inscrire, s’immiscer et édicter ce qu’est, ce que devrait être la subjectivité de l’autre. Au sein d’un même collectif, des individualités émergent, au sein d’une société des différences se font entendre. Et la plus profonde, la plus irréductible, c’est certainement celle du féminin et du masculin.


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