Culture

Reda Sadiki: « Je suis entré en littérature un peu par effraction »

Reda Sadiki vient de remporter le prix Grand Atlas, dans la catégorie « Fiction francophone ». Pour le Siteinfo, l’auteur revient sur le parcours atypique et passionnant qui a été le sien.

Par Olivier Rachet

Le Siteinfo : Vous êtes chirurgien urologue, de formation. Le cahier de Zahir est votre premier roman. Comment êtes-vous entré en littérature ?

RS : Je suis entré en littérature un peu par effraction. Car comme vous l’avez rappelé, de par ma formation, je n’étais nullement destiné à pénétrer ce monde… mais on ne se débarrasse jamais facilement ni complètement de ses premières amours. Nous avions à la maison une petite bibliothèque où il y avait quelques livres et, encore enfant, bien avant d’apprendre à lire, ce meuble avec les bouquins qu’il y avait dedans, pour je ne sais quelle raison, me fascinait. Plus tard, quand, grâce à l’école, j’ai pu découvrir les histoires que racontaient toutes ces pages noircies, j’ai été littéralement captivé par ces mondes imaginaires, ces personnages si fictifs et pourtant si réels, ces univers si lointains du mien, et depuis ce jour je n’ai jamais cessé de lire. Je crois aussi que c’est à cette période qu’est née mon ambition d’être écrivain.


Le Siteinfo : Votre personnage principal est originaire d’une ville du centre du Maroc, appelée Fkih Ben Salah. Vous précisez, dans les premières pages, qu’il est aussi issu de la tribu des Aït Atta dont l’histoire a retenu leur lutte contre le pouvoir colonial. Quelle importance attribuer à ce détail ?

RS : La maison des Ait Atta est la dernière tribu du Maroc à avoir rendu les armes, plusieurs années après le début du protectorat. Avec sa reddition, s’est clos ce premier chapitre de la colonisation que la résidence générale appelait « la pacification ».

C’était autrefois une tribu guerrière, agreste, très attachée à sa terre et qui a payé un lourd tribut en terme de vies humaines pour défendre justement cette terre et continuer à y vivre selon ses lois. Il m’a paru intéressant de relever cette ironie de l’histoire qui veut qu’aujourd’hui les enfants de cette même région payent un tout aussi lourd tribut, mais cette fois, pour tenter de la fuir.

Le Siteinfo : Le protagoniste tient un journal intime qu’il prénomme du nom de Luigi. Comment cette forme littéraire s’est-elle imposée à vous ?

RS : J’ai choisi la forme du journal parce que c’est celle qui m’a paru convenir le mieux à mon projet cardinal. A savoir rendre, avec le plus de franchise possible, la vie intérieure du héros. Ici, le narrateur ne s’adresse pas au lecteur, il parle à lui-même, ce qui l’affranchit de tout regard et lui facilite l’accès à une certaine sincérité qu’il ne se serait pas forcément autorisé dans un autre genre.

C’était aussi un bon moyen pour dépeindre, au jour le jour, le petit monde du héros. Sa fonction de concierge le rend un observateur privilégié de la société. Ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce dont il est témoin sont autant de bons matériaux qui, le temps passant, finissent par donner une idée assez claire de la violence qui régit cet univers.

Le Siteinfo : Zahir exerce le métier de concierge, dans une résidence du quartier de l’Agdal, à Rabat où se côtoient étudiants en médecine et prostituées. Il se liera d’ailleurs d’amitié avec l’une d’entre elles, prénommée Mounia. Celle-ci lui apprendra que tout se monnaye en ce bas monde. Pourquoi est-il, selon vous, plus facile d’aborder ce thème de la prostitution, dans un roman plutôt qu’au cinéma ?

RS : Le roman a la chance ou la malchance de ne pas être un art grand public, comme c’est le cas du cinéma par exemple. Ce caractère élitiste le préserve et le met à l’abri de certains tumultes contingents. Il est donc moins sujet aux cris d’orfraie et aux indignations de circonstance que ne l’est le 7ème art qui jouit mais aussi pâtit de la force de l’image.

Cette sorte de protection permet au roman de s’attaquer à des sujets sensibles, délicats ou même conflictuels dans un climat de relative sérénité. Le revers de la médaille c’est que le public touché est beaucoup moindre que celui des autres arts grand public.

Le Siteinfo : Votre roman s’apparente, en grande partie, à un roman d’initiation. Mais il adopte souvent un ton humoristique, empreint de tournures populaires des plus réjouissantes. Le phrasé de votre narrateur, à la fois très rythmé et truculent, rappelle parfois le style de cet autre écrivain-médecin qu’était Louis-Ferdinand Céline. Revendiquez-vous cette filiation ?

Je suis flatté par votre question mais soutenir un quelconque lien de filiation avec Céline serait présomptueux et très prétentieux de ma part. Il est l’un des plus grands stylistes de la langue française et son génie mêlée à une immense capacité de travail ont fait de lui un cas unique et inimitable dans la littérature.

Il est vrai qu’outre la médecine, je partage avec lui, comme avec Jim Thompson ou d’autres d’ailleurs, une certaine idée de l’écriture selon laquelle la phrase, reflet de son époque et de son temps, doit non seulement apporter une information mais aussi, dans la façon d’apporter cette information, véhiculer une émotion. Ce qui implique un certain rythme et une certaine rhétorique dans l’expression pour composer, à côté de l’écrit, « une petite musique » comme il le disait lui-même. Et c’est peut-être la raison pour laquelle il y a dans ma façon d’écrire un petit air célinien qui vous le rappelle un peu.

Le Siteinfo : Vous dépeignez, grâce à un ancrage spatio-temporel très réaliste, une société à deux vitesses. Les perdants sont victimes d’un déterminisme social qui ravage tout sur son passage alors qu’une infime minorité de la société vit dans une prospérité, souvent ostentatoire. Le métier qui est le vôtre de médecin vous a-t-il permis de mieux connaître les souffrances de la société marocaine ?

RS : En tant que médecin de l’hôpital public, en effet, je suis confronté, tous les jours, non seulement à la souffrance humaine mais aussi à des situations sociales très difficiles.

De plus, un des privilèges de mon métier, c’est la confiance de nos patients qui s’ouvrent à nous, nous parlent de leur vie, nous racontent leur intimité, nous confient leurs secrets… Des choses qu’ils ne raconteraient peut-être pas forcément à leur entourage ou à leurs amis. Tout cela, vous le concevrez, nous met aux avant-postes, fait de nous les sentinelles involontaires d’une société dont nous ne pouvons que comprendre la douleur et entendre le cri.

Le Siteinfo : Quel regard portez-vous, enfin, sur la littérature contemporaine marocaine ? Le pays sera à l’honneur du prochain Salon du livre de Paris, qui se déroulera du 24 au 27 mars 2017. Comptez-vous vous y rendre ?

RS : La littérature marocaine connaît depuis quelques années un second souffle avec l’émergence salutaire de nouveaux auteurs. Elle est, aujourd’hui, plurielle et polychrome. On y retrouve des écrivains de différentes générations adoptant des styles et des tons différents. Les sujets traités ainsi que les genres proposés sont également multiples et variés.

Bien entendu, nous aspirons tous à une production encore plus riche et importante mais lorsqu’on voit d’où l’on vient : un pays dont la moitié de la population est analphabète et l’autre qui ne lit pas ou très peu, on s’aperçoit que la santé de cette littérature est, tout compte fait, au-delà des espérances. Enfin pour ce qui est du Salon du livre de Paris, ma décision n’est pas encore arrêtée mais j’espère bien m’y rendre.

O.R.

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