Culture

L’Expo photo hallucinante d’Amine Oulmakki à Tanger

Diplômé de l’ISCA (Institut supérieur du cinéma et de l’audiovisuel), Amine Oulmakki est un passionné de photographie. Après avoir réalisé de nombreuses vidéos dont « Oxygène » présentée récemment à la Biennale de Marrakech et participé à de multiples tournages et expositions artistiques, l’artiste propose sa première série en couleurs à la Galerie photos Loft de Tanger.

Par Olivier Rachet

Intitulée Intérieur / Nuit, comme en hommage à l’écriture cinématographique, la série se compose d’une dizaine de clichés grand format qui sont autant de tableaux perpétuant la tradition picturale du clair-obscur. Les intérieurs sont ceux de maisons traditionnelles dans lesquelles se détachent des motifs en zellige, des vitraux dont le motif floral rappelle celui de mosquées irakiennes, des colonnes de marbre. Les espaces sont choisis avec délicatesse, après un travail de repérage intensif qui rappelle les conditions dans lesquelles se prépare un tournage cinématographique.

Les compositions sont pensées avec un art certain de la mise en scène qui situe le photographe dans une tradition prestigieuse qui regrouperait des artistes tels que Bernard Faucon, Cindy Sherman ou Safaa Mazirh, la photographe marocaine avec laquelle Amine Oulmakki a créé l’association Fotografi’Art. Les conditions dans lesquelles s’effectuent les prises de vue relèvent elles aussi de l’enfance de l’art. Le photographe plonge le plateau dans une obscurité totale et c’est à l’aide de petites torches qu’il éclaire les personnages et les éléments du décor qu’il souhaite mettre en relief. Le geste n’est pas sans rappeler celui des premiers graveurs et peintres rupestres qui s’éclairaient à l’aide de flambeaux afin de représenter la grandeur et la menace du monde animal et végétal qui les entourait.


Des images mentales et oniriques

Chaque scène constitue un micro-récit, porte en germe une histoire plus ou moins intime qui ne demande qu’à éclore. Une jeune femme dont le corps est tout entier recouvert de henné offre sa beauté nue au regard du spectateur, avec une délicate pudeur. Les dessins font écho aux motifs des coussins et aux vitraux qui confèrent à l’ensemble une solennité érotique troublante.

Un couple est allongé sur un lit que l’on imagine être leur lit de noces. Une étreinte aura lieu ou vient peut-être de se passer. Le corps alangui de l’homme semble comme bercé par les motifs floraux des coussins qui l’emportent vers un ailleurs apaisé, autre nom de l’amour. La femme tient dans sa main droite un saroual qu’elle brandit moins comme un trophée qu’elle ne porte avec l’innocence douce qui est celle du désir.

Un triptyque met en scène un jeune homme, coiffé d’un tarbouche rouge, vêtu d’un jean et portant des babouches jaunes, qui s’évertue à fumer une pipe gigantesque, sortie tout droit d’un délire adolescent. Le personnage s’amuse à détourner l’objet de la transgression en le transformant en un club de golf aux proportions monumentales. La fantaisie s’allie ici à un humour potache qui n’est pas la moindre des qualités du photographe.

Un cliché frappe aussi par son étrangeté. Intitulé « Intérieur / Nuit / Essaouira », il se présente sous la forme d’un tableau dont le clair-obscur n’est pas sans rappeler les oeuvres religieuses du peintre Caravage, dont un ange s’improvisant ici barbier semble s’être échappé. Une femme écaille un poisson en fixant l’objectif. Une cérémonie s’apprête dont on ne verra rien. Seule subsiste en nous une impression durable de mystère comme dans ce cliché oppressant où l’on voit une femme se dédoubler : de dos, elle regagne un intérieur rouge inquiétant ; de face, elle se fige dans un regard absent d’autant plus déchirant qu’il semble regarder vers la nuit qui occupe les deux tiers de l’image. Si le désir éclate parfois, dans certains clichés, dans toute son innocence ; d’autres personnages donnent l’impression de porter le deuil d’une existence qui n’aurait pas été pleinement vécue. Puissance du désir de vivre, fardeau des traditions.

L’enfance de l’art

Amine Oulmakki commente ses photographies, en égrenant çà et là des souvenirs d’enfance qui auraient présidé à leur savante composition. Souvenir de cet adolescent affabulateur qui prétendait avoir chez lui un arbre tout entier recouvert de beignets que l’on s’émerveille de découvrir auprès d’un bassin dans lequel Fayçal Azizi, le comédien rendu célèbre par la série Kaboul Kitchen, se délasse. Souvenir aussi de ces moments récréatifs de l’adolescence où l’on s’amuse à lancer des boulettes de kif au loin pour qu’elles atterrissent dans un trou creusé préalablement. Rituel transgressif que l’on a plaisir à retrouver dans le motif de cette pipe de plusieurs mètres transformée en club de golf.

Le photographe s’amuse mais il participe surtout d’un renouveau de la photographie marocaine dont les récentes Nuits photographiques d’Essaouira ont pu montrer la vivacité et la grande diversité. A la fois vidéaste, photographe, metteur en scène, enseignant en photographie, Amine Oulmakki est un artiste à suivre. Son exposition « Intérieur / Nuit » est visible à la Galerie Photo Loft jusqu’au 19 novembre. L’hallucination visuelle sera au rendez-vous !

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