Culture

Le Cinéma, comme vous ne l’avez jamais vu à Marrakech

À l’occasion de la deuxième édition de la Fête du Cinéma de Marrakech qui se tiendra du 27 au 29 septembre de cette année, le coordinateur Roland Carrée, docteur en cinéma de l’Université Rennes 2 et enseignant-chercheur en cinéma à l’École Supérieure des Arts Visuels (ÉSAV) de Marrakech, revient sur une programmation exceptionnelle.

Par Olivier Rachet 

Le Site Info : D’où vous est venue l’idée d’organiser une Fête du Cinéma à Marrakech ?

Roland Carrée : Une première édition de ce festival avait eu lieu en décembre 2017. Il devait s’agir, au départ, d’un événement unique censé remplacer le FIFM [Festival International du Film de Marrakech] qui, cette année-là, avait été annulé. La manifestation avait été organisée alors par l’Institut français de Marrakech, l’ÉSAV, le cinéma Colisée et l’Es Saadi Marrakech Resort, avec la collaboration de TV5 Monde. Je n’étais pas l’organisateur de cette première édition car je ne travaillais pas encore à l’ÉSAV, mais j’y étais intervenu en tant que médiateur pour animer notamment des débats entre les réalisateurs et le public. J’avais alors pu mesurer le succès de cette manifestation. Pendant trois jours, le public avait pu rencontrer des réalisateurs et surtout assister à des projections de films proches de leur univers. Beaucoup de réalisateurs marocains tels que Hakim Belabbès, Hicham Lasri, Nour-Eddine Lakhmari, Daoud Aoulad-Syad ou Faouzi Bensaïdi avaient répondu présents. Les organisateurs se sont rendu compte que malgré le retour du FIFM, la Fête du Cinéma n’était pas un festival concurrent car celui-ci se focalise en grande partie sur le cinéma marocain et maghrébin et favorise grandement les rencontres entre le public et les artistes. Pour cette nouvelle édition, de nouveaux partenaires ont été conviés : le Musée Yves Saint Laurent Marrakech et la Fondation Dar Bellarj. Entretemps, je suis arrivé à l’ÉSAV en tant qu’enseignant-chercheur et coordinateur des événements cinéculturels liés à l’école et à ses collaborations avec ses partenaires. Aussi a-t-il été décidé de me confier la direction artistique de cette deuxième édition.

Le Site Info : En dehors du film d’ouverture, Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec, la plupart des films présentés sont marocains. Comment avez-vous réussi ce tour de force ?

Roland Carrée : Nous avons cependant voulu viser un peu plus large que la première édition qui, si l’on excepte un cycle Jean-Pierre Melville, était entièrement consacrée au cinéma marocain. Notre programmation pour cette édition 2019 comporte également des films tunisiens et algériens récents et inédits à Marrakech. Des films appartenant au patrimoine marocain seront aussi projetés : le film documentaire De quelques évènements sans signification, réalisé en 1974 par Mostafa Derkaoui, et les rushes de La Longue Journée de Mohamed Abbazi et Donna Woolf, qui clôtureront le festival sous la forme d’un ciné-concert proposant au public de découvrir ces images en couleur tournées clandestinement en 1969 à Casablanca. Pour en revenir aux Hirondelles de Kaboul, c’est l’un des rares films non maghrébins du festival puisqu’il est de production française et que l’histoire se déroule en Afghanistan, mais il s’agit d’une adaptation du roman éponyme de l’écrivain Yasmina Khadra qui est algérien. Ce film très poétique nous a beaucoup plu et nous trouvons intéressant de proposer aussi du cinéma d’animation qui est la base même du 7e art.

Le Site Info : Un hommage sera rendu à la comédienne Mouna Fettou que l’on retrouvera dans le seul film entièrement français de la programmation, Prendre le large de Gaël Morel. Est-elle pour vous une icône du cinéma marocain ?

Roland Carrée : Oui, sans aucun doute, en ce sens qu’elle fait partie de ces rares comédiens qui ont su allier films populaires, comme la comédie à succès À la recherche du mari de ma femme de Mohammed Abderrahman Tazi, et films d’art et d’essai. Sa carrière a débuté avec Un amour à Casablanca d’Abdelkader Lagtaâ, un film exigeant qui a soulevé, à l’époque, certaines polémiques. Elle a tourné par la suite dans des films engagés dont certains, comme Femmes… et Femmes de Saâd Chraïbi, défendent la cause des femmes. Mouna Fettou est une comédienne qui investit ses combats par son corps et par sa voix. Elle ne se cantonne pas qu’aux films marocains, puisqu’elle a tourné avec des réalisateurs étrangers comme Claude Lelouch. Elle est aussi une comédienne de télévision dont un téléfilm, L’Actrice de Narjiss Nejjar, sera programmé durant notre festival. Il est important de montrer que la carrière d’une comédienne ou d’un comédien ne dépend pas seulement – du moins au Maroc – du grand écran.

Le Site Info : Après sa projection en avant-première marocaine au Festival National du Film de Tanger, le film récemment restauré de Mostafa Derkaoui, De quelques évènements sans signification sera projeté au Musée Yves Saint Laurent Marrakech. Pouvez-vous nous donner trois bonnes raisons de voir ce chef-d’œuvre ?

Roland Carrée : Premièrement, il s’agit en effet d’un authentique chef-d’œuvre qui constitue une réflexion cinématographique unique sur la place du réalisateur et des comédiens. Ce film rempli de mises en abyme permet de réfléchir sur le pouvoir de l’image cinématographique. Deuxièmement, ce film tourné en 1974 et interdit jusqu’aux années 90 était devenu quasiment introuvable. Ce n’est que très récemment que l’Atelier de l’Observatoire, à Casablanca, et la Filmoteca de Catalunya, à Barcelone, ont entrepris un gros travail de restauration pour nous en proposer une version magnifique. On assiste aujourd’hui à une renaissance d’un film extraordinaire. Troisième raison, et non des moindres, Mostafa Derkaoui sera parmi nous à Marrakech et cette restauration qui constitue une apothéose de sa carrière sera l’occasion d’échanger avec le public, en compagnie de Sophie Delvallée qui a réalisé un documentaire sur lui et de Mostafa Dziri qui est l’un des comédiens du film.

Le Site Info : Certains films du cru 2019 de l’ÉSAV Marrakech seront également visibles à Dar Bellarj ainsi qu’au Musée Yves Saint Laurent. Quels genres cinématographiques privilégient vos étudiants et quelles thématiques abordent-ils ?

Roland Carrée : Ce sont des films aux genres très variés et qui ne parlent pas forcément du Maroc. Beaucoup revendiquent une portée universelle. On pourra découvrir des films parfois décalés, flirtant avec l’irrationnel. Nous apprenons à nos étudiants à penser davantage en termes de cinéma qu’en termes de sujets.

Le Site Info : D’autres évènements sont-ils prévus en dehors des projections ?

Roland Carrée : Absolument. La Fête du Cinéma de Marrakech est un festival avant tout axé sur la rencontre. Nous aurons beaucoup d’invités : des réalisateurs, des comédiens, des producteurs, des directeurs de casting… Au-delà des discussions qui suivent les séances de films, trois grandes rencontres sont ainsi programmées. Ainsi, une table ronde sera consacrée aux actrices et acteurs au Maroc et abordera plus précisément les questions de la formation et du casting. Une masterclass, animée sous ma direction par des étudiants de l’ÉSAV, sera donnée par Mouna Fettou. Nous avons également lancé un concours de scénarios de courts métrages destinés à tous les Maghrébins. Parmi la trentaine de projets reçus, nous en avons sélectionné six qui seront lus publiquement par des comédiens lauréats de l’ISADAC. Un jury de professionnels décernera un prix offert par TV5 Monde. J’ajoute enfin que les enfants n’ont pas été oubliés puisqu’une séance leur sera proposée avec un programme de nombreux courts métrages d’animation. Il est important de développer et d’entretenir une réflexion sur l’image dès le plus jeune âge chez les futurs spectateurs de cinéma.

O.R.

Fête du Cinéma de Marrakech, du vendredi 27 au 29 septembre.


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