Politique

Pourquoi l’affaire des terrains éclate maintenant? (analyse)

Par Taoufik Jdidi

Il a fallu que l’information selon laquelle le wali de Rabat, Abdelouafi Laftit, aurait acquis un lot de terrains dans une zone huppée de la capitale à un prix dérisoire pour que la toile s’enflamme.

Des milliers d’internautes semblent avoir découvert l’Amérique… Dénonciations d’abus, critiques acerbes à l’encontre des hauts responsables de l’Etat, surenchères politiques menées par les cyber-commandos de certaines formations politiques, interpellations émanant de députés et de responsables d’organisations… : la liste est trop longue pour pouvoir la cerner.

C’est même devenu le sujet de prédilection de tous ceux qui ne se sont jamais mêlés de politique et qui ne sont même pas inscrits sur les listes électorales. C’est le sujet qui fâche par excellence. Et quand on se fâche, l’imagination devient débridée et le comportement difficilement maîtrisable.

De quoi s’agit-il en fait ?

La pratique des privilèges accordés aux hauts commis de l’Etat est une tradition que le makhzen a instaurée depuis des lustres. En effet, ceci ne date pas d’aujourd’hui ni d’un passé récent. Que de ministres ont bénéficié de centaines d’hectares lors du règne de Hassan II !

Ces pratiques ont été encouragées par le «super-ministre» de l’époque, Driss Basri, qui a tout fait pour s’attirer les sympathies de certains leaders de l’opposition. Certains d’entre eux ont reçu des cadeaux faramineux pour atténuer leurs propos et moduler leur position politique.

Aujourd’hui, les initiateurs de cette polémique autour du wali ressortent d’autres dossiers et d’autres noms soupçonnés d’avoir bénéficié d’acquisitions douteuses. Et les noms ne sont pas des moindres. Les conseillers du roi, Fouad Ali El Himma et Mohammed Moâtassim, sont signalés. Pourquoi uniquement ces deux personnes ? Les autres conseillers n’auraient-ils pas bénéficié comme les autres de certains privilèges dus à leur fonction ? Sont également mentionnés Mohamed Hassad et Mohamed Boussaid, les rédacteurs du fameux communiqué stigmatisant la surenchère politicienne autour de cette affaire. Pourquoi uniquement ces deux ministres et pas d’autres ?

Finalement pourquoi maintenant ?

L’affaire Laftit a débuté lors de la fuite d’un document officiel émanant des services de la direction du domaine relevant du ministère des finances. Cette fuite a eu lieu pour nuire à l’image du wali et le décrédibiliser auprès de l’opinion publique rbatie et nationale. Le moment a été bien choisi, en période pré-électorale, puisque tout le monde sait que les services du ministère de l’intérieur sont mobilisés pour l’échéance du 7 octobre.

En plus, de par ses fonctions, Laftit entreprend un contrôle permanent des actions du maire et des chefs des arrondissements, qui dans leur majorité relèvent du PJD. Or, ces contrôles et les décisions prises par le wali ont fâché ces élus.

Leurs rapports avec lui ne sont pas au beau fixe et l’action contre Laftit est du pain bénit pour une campagne de propagande prônant la moralisation de la vie publique et le combat contre le «fassad» (dépravation). Des thèmes très chers au PJD et qui peuvent rapporter gros.

Un passage dans un communiqué des deux ministres aurait pu mettre la puce à l’oreille des internautes et d’autres lecteurs. En effet, ce passage dit, en substance, que le parti en question aurait pu s’attaquer au décret réglementant ces sortes d’acquisition, en l’annulant et en fixant d’autres modalités et conditions.

Le gouvernement ne savait-il pas que ces pratiques sont monnaie courante ?

Les députés du PJD, qui se sont insurgés contre ces faits, ne savaient-ils pas que ces privilèges existent, eux qui ont siégé au parlement pendant des décennies ?

Cependant, l’essentiel  dans cette affaire est que la classe politique soit à la hauteur des attentes du peuple marocain avide de libertés, de démocratie et surtout d’égalité. Il est inconcevable, dans le Maroc d’aujourd’hui, de sauvegarder des pratiques qui datent d’une autre époque. L’Etat de droit suppose que les citoyens soient traités selon les mêmes règles qui s’appliquent à tous sans distinction.

Puisse cette affaire enclencher un processus de remise en cause des pratiques et usages qui ne contribuent qu’à élargir davantage le fossé qui sépare les administrés de l’élite politique et administrative.


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