OPINION DU WEB

À ma petite sœur du bus de Casa

PAR GERONIMO

Je t’écris cette lettre, petite sœur, car cette nuit j’ai fait un très mauvais rêve… Un cauchemar où tu étais brisée et si seule… J’ai vu le monde tellement sombre qu’un soleil n’aurait pas suffi à l’éclairer… Ton cri qui courait dans la nuit m’a réveillé, et moi qui suis pourtant loin de toi, petite sœur, je t’ai entendue sangloter…

Ne te précipite pas, ma douce sœur, pour savoir ce qui a tant pu me troubler, puisque je n’ai rien de gai à te raconter. Juste un fait divers comme il en existe tant d’autres sous nos cieux, dans ce pays bien plus malheureux que le visage gris d’un orphelin ne voyant se dessiner devant lui que des présages ingrats de servitude.

Patiente un peu, petite sœur… J’ai encore des traces de douleurs qui me collent à la gorge, comme ces chats qui te laissent parfois sans voix et que tu t’empresses de cracher pour mieux respirer. Mais respirer quoi ? L’air d’ici qui persécute les poumons de ta jeunesse ?

Mais je vais te raconter, ma petite sœur… Cette nuit, je t’ai vue marcher dans cette cité maudite, comme tu l’as toujours fait en rentrant chez nos pauvres parents, si jolie les cheveux tombant sur tes épaules. Et je l’ai aperçu tout à coup derrière toi, ses yeux te déshabillant. Tu es montée, douce fleur, dans cet autobus de malheur que tu as l’habitude de prendre et je t’ai vue t’asseoir discrètement dans un coin, à l’abri de ces sales mains baladeuses et sans vergogne qui appréhendent si souvent les jeunes et belles passagères, mais cette fois, petite sœur si fragile, tu n’y échapperas pas.

Ce jeune qui te scrutait était accompagné de ses sbires mâles, créatures de l’ombre récoltés sur les trottoirs de la délinquance, dans leurs quêtes du mal, chacals errants prêts à assouvir leur soif de violence, leurs besoins abjects. Ils t’attendaient au détour, petit chaperon de sœur, prédateurs résolus à s’abattre sur leur proie. Dans ce cauchemar, petite sœur faible, ils ont usé de ton corps avec délectation alors que tu hurlais à l’aide, ils ont filmé leur infamie alors que tu pleurais sous leurs haleines d’alcool frelaté et leurs yeux couleur de comprimés karkoubi.

Mais le coup de pinceau final à ce tableau morbide, c’était le silence et le mutisme insolent de tous les passagers de ce bus qui regardaient immobiles ce spectacle hideux, leurs yeux livides et leurs cœurs emprisonnés par un mélange d’effroi et d’égoïsme.

Petite sœur, moi dans ce cauchemar je sentais chaque battement de ton coeur, chaque larme de tes yeux qui aurait pu engloutir la terre entière. Je t’ai entendu, petite chérie, quand tu m’as appelé à cet instant où sur cette terre des milliards d’êtres humains courent vers leurs destins, mais personne n’est venu vers toi, mais aucune main ne s’est tendue vers toi.

Soulagé, petite soeur, je sais aujourd’hui que ce n’était pas toi dans ce bus, mais un affreux cauchemar. Pourtant ce mauvais rêve me semble toujours bien réel, tellement réel qu’il a laissé en moi une blessure pour la vie, mais aussi une déchirure dans le corps et le cœur de ces jeunes filles qui supportent en silence et dans la souffrance des gestes immondes injustes dans leur quotidien, lourds de mépris, de partis pris, dans une société qui brûle sauvagement et sans répit tout humanisme.


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