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Panama papers: «Le Monde ne fait pas de fixation sur le Maroc»(Alain Rollat)

rollatAlain Rollat, ancien rédacteur en chef et directeur-adjoint du « Monde », expert indépendant en déontologie du journalisme, décrypte l’affaire «Panama papers» pour Le Site info. Exclusif.

Le Site info: Peut-on considérer les «Panama papers» comme un « coup » à la « Swissleaks » ? En quoi ces deux ondes de choc sont-elles différentes ?

Alain Rollat: Pourquoi parlez-vous d’un «coup» à propos de «Swissleaks» ? «Swissleaks», l’année dernière, ce n’était pas un «coup» médiatique; c’était la révélation de listings émanant de sources fiscales et judiciaires. Ces listings, transmis à la presse par un informaticien,  contenaient plus de 103.000 noms de clients de la banque suisse HSBC titulaires de comptes cachés dans plus de 20.000 sociétés off-shore.

C’était donc un gros scandale financier puisque le but de ces camouflages était, dans la plupart des cas, d’organiser des opérations de fraude fiscale ou de blanchiment d’argent. La publication dans la presse de certains de ces noms avait été critiquée, à juste titre, parce qu’elle s’apparentait parfois – c’est vrai – à de la délation arbitraire. Mais, au final, cette enquête journalistique était d’intérêt général et elle a été très utile.


En France, notamment, elle a permis au Service des Impôts de récupérer plusieurs milliards d’euros et la HSBC Private Bank a été mise en examen par la justice pour complicité de blanchiment aggravé de fraude fiscale.  Avec  les «Panama papers» on change d’échelle.  On passe du particulier au général, d’un exemple  à une généralité. On plonge au cœur des «paradis fiscaux».

On accède aux tréfonds les plus opaques du capitalisme mondialisé.  Plus  de 11,5 millions de documents  qui révèlent les avoirs cachés des plus grands chefs d’Etat, de stars du football, de milliardaires de tous les pays, de réseaux criminels ! C’est la révélation de données bancaires la plus massive de l’histoire du journalisme. L’onde de choc devient planétaire.

«Le Monde» écrit-lui-même que ce genre de pratique n’est pas illégal mais que c’est très encadré. L’objectif final est-il, encore une fois, de faire du sensationnalisme et de toucher le plus de monde possible ?

Non, l’objectif du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui regroupe aujourd’hui 107 médias dans 76 pays, est exactement le même que celui du journaliste professionnel qui travaille  en solo, ici ou là,  et qui tient à faire son travail de la façon la plus honnête possible: il s’agit, partout,  de dénicher les vérités qu’on cherche à cacher.

C’est une excellente chose, pour l’information des peuples, que les journalistes d’investigation se soient organisés en réseau mondial afin de pouvoir mener les enquêtes mondiales qui sont rendues nécessaires par la mondialisation des tricheries et des trafics en tout genre. Et, même si certaines législations couvrent certaines de ces pratiques d’un vernis de légalité, il n’en demeure pas moins que l’effet de leurs révélations détaillées sera dévastateur, partout, pour les privilégiés qui en tirent profits. Croyez-vous que les gens ordinaires puissent s’accommoder longtemps de ces  iniquités,  de ces  manquements cyniques aux règles morales les plus élémentaires ? Tout cela, partout, ne fait qu’aggraver le rejet des élites par les peuples et, hélas ! la montée des populismes.  Tout cela est porteur de révolutions sociales.

Au Maroc, le sujet est sensible étant donné que le secrétaire particulier du roi est mentionné dans les «Panama papers». La majorité de la presse a fait le choix de ne pas en parler. Est-ce un mauvais signe pour la liberté d’expression ?

L’autocensure n’est jamais un signe de bonne santé pour la liberté d’expression.  Quand la presse se tait, c’est qu’elle est aux ordres ou qu’elle a peur. Dans les deux cas, c’est au peuple qu’on ment par omission.

A travers cette affaire, celle de « Swissleaks » et certains articles récents, comment jugez-vous le traitement (nouveau ?) du «Monde» envers le Maroc ?

A propos de son traitement de l’affaire « Swissleaks » j’avais moi-même jugé que Le Monde avait monté en épingle les révélations concernant le roi du Maroc et que, ce faisant, il était tombé dans le travers  du sensationnalisme. Cette fois, dans le traitement des «Panama papers» concernant le roi du Maroc, Le Monde est resté très sobre. Il s’en est tenu à l’exposé factuel du résultat de ses investigations. Je n’y vois rien à redire d’un point de vue des normes déontologiques du journalisme. Le Monde a fait un travail qui semble rigoureux. Cette fois, d’ailleurs, c’est la part algérienne du scandale, éclaboussant les proches du président Bouteflika,  qui a eu droit à la tête de page dans les colonnes du «Monde». Cela montre que « Le Monde » ne fait pas de fixation sur le Maroc et qu’il n’y a rien de nouveau dans l’intérêt qu’il porte, depuis toujours, à chacun des pays du Maghreb, à la grande satisfaction, d’ailleurs, de tous les gens attachés à la multiplicité  des sources d’information indépendantes.

Propos recueillis par Hicham Bennani

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