Deux-roues motorisés : Marrakech, laboratoire d’une nouvelle approche de sécurité routière

La mortalité routière au Maroc continue de frapper durement les usagers de deux-roues motorisés. En 2024, 1 532 conducteurs de motos et scooters ont perdu la vie sur les routes, soit 42,1 % des décès recensés cette année-là.
Ce taux particulièrement élevé illustre une vulnérabilité chronique, accentuée par l’explosion du parc moto depuis l’instauration en 2015 de l’immatriculation obligatoire pour les engins de plus de 50 cm³. Les conducteurs âgés de 15 à 39 ans, et plus particulièrement ceux entre 15 et 29 ans, représentent à eux seuls la majorité des victimes. Cette surmortalité s’explique par une combinaison de facteurs structurels : manque de formation à la conduite, défaut d’équipement de sécurité, méconnaissance du code de la route, voire comportements à risque comme le débridage des engins ou le non-respect des feux de signalisation.
Dans ce contexte, la ville de Marrakech a été retenue en 2024 pour expérimenter une campagne intégrée de sensibilisation intitulée Safe Moto – Koun Ghir. Imaginée par la NARSA, l’opération vise à articuler communication, présence terrain et contrôle réglementaire. Le choix de Marrakech repose sur des éléments objectifs : une concentration importante de deux-roues, une circulation urbaine dense, une progression de la mortalité en zone urbaine supérieure à la moyenne nationale, et un fort potentiel de réplicabilité du dispositif.
Le programme mis en place dans la ville ocre combine plusieurs leviers. D’un côté, des campagnes de sensibilisation ont été déployées dans les rues de la ville : messages apposés sur les véhicules traditionnels de transport comme les Koutchis, affichage sur les toits de taxis, capsules vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et plateformes publiques, reconstitutions d’accidents dans un conteneur spécialement aménagé, tournée de motards ambassadeurs équipés et identifiables. Le tout vise à interpeller les usagers dans leur quotidien, dans un cadre non autoritaire mais engageant. Une campagne d’animation dans les stations-service a aussi permis une interaction directe avec les motocyclistes à travers des jeux-questionnaires, des dépliants d’information et la possibilité de gagner des lots symboliques, dont une moto.
Parallèlement à cette approche de terrain, un volet numérique a été conçu pour assurer une continuité pédagogique. Webinaires, quizz interactifs, concours sur les réseaux sociaux et création d’un groupe communautaire en ligne renforcent l’ancrage local de la campagne. Le contenu est volontairement adapté à la cible, avec une approche participative : il ne s’agit pas seulement d’informer, mais d’impliquer les motards dans une logique de partage d’expérience et d’alerte sur les pratiques à risque.
Le troisième pilier du dispositif repose sur le renforcement des contrôles. Avec l’appui de la Direction Générale de la Sûreté Nationale, des brigades mixtes ont été mobilisées pour contrôler le respect du code de la route, l’usage d’un casque conforme et attaché, la conformité mécanique des motos, mais aussi les pratiques de vente chez les concessionnaires. Pour détecter les modifications non autorisées, comme le débridage ou la suppression des dispositifs d’éclairage, des outils comme les speedomètres ont été introduits dans les contrôles. Cette composante est essentielle dans un contexte où une part non négligeable des accidents graves implique des engins modifiés ou utilisés hors des conditions prévues par la loi.
Enfin, la campagne s’appuie sur un levier incitatif en matière d’équipement. La NARSA prévoit la distribution de 50 000 casques homologués à l’échelle nationale. À Marrakech, 900 d’entre eux ont été remis à des conducteurs sélectionnés lors d’actions de terrain menées avec les associations locales. Un soutien financier partiel est également proposé pour encourager l’achat de casques certifiés.
Le programme Safe Moto s’inscrit dans le cadre plus large du Plan national de contrôle routier 2022-2024, qui cible les usagers vulnérables comme les motocyclistes, les piétons ou les cyclistes. L’objectif est d’expérimenter à Marrakech une combinaison d’actions susceptibles d’être reproduites ailleurs. À ce jour, aucun bilan consolidé n’a encore été publié sur les effets concrets du dispositif, mais la NARSA prévoit un suivi des indicateurs de sinistralité sur les six à douze mois suivant l’intervention. Ce retour d’expérience permettra d’évaluer la pertinence du modèle et d’envisager son extension à d’autres grandes agglomérations.