Maroc

Aawatif Hayar: La ministre était l’invitée des ECO: le grand entretien en vidéos

Changer les fondamentaux n’est pas une mince affaire. D’où la nécessité d’instaurer une culture axée sur la dimension sociétale. C’est l’approche de Aawatif Hayar, ministre de la Solidarité, de l’inclusion sociale et de la famille, qui mise sur la revalorisation de l’enfance et le respect de l’égalité homme/femme pour aspirer à une société marocaine plus avertie. Invitée des ÉCO, Hayar dévoile en exclusivité les actions menées pour y parvenir. 

La lutte contre la violence à l’égard des femmes a été beaucoup soulevée ces derniers temps, quelles sont les actions prévues dans ce sens par votre département ?
Le ministère de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille dispose d’un programme très important en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes. Notre pays dispose d’une législation très avancée en matière de protection des droits des femmes grâce au commandement du Roi et d’ailleurs le discours royal du 30 juillet rappelle l’importance des femmes à accéder pleinement à leur droit. Il n’est plus pensable qu’à l’ère actuelle, des femmes ne bénéficient pas de leur droit.

Ainsi, dans le gouvernement, nous avons adopté des programmes pour faire augmenter le taux d’activité des femmes de 20 à 30%, car l’autonomisation économique des femmes représente un levier très important pour les sortir du cercle de la violence. Dans ce contexte, le département a mis en place un programme pour généraliser les centres d’accueil et de la prise en charge des femmes victimes de violence. De surcroît, les engagements du ministère portent sur la réalisation de 65 centres d’accueil destinés aux femmes violentées. A mon arrivée, on était loin du compte. Nous avons ainsi doublé d’effort pour honorer cet engagement. Mieux encore, nous avons pu le dépasser pour compter à notre actif 82 centres d’accueil. Pourquoi plus précisément 82, parce que nous avons essayé d’en créer au moins un centre par province qui assure l’accueil et l’hébergement d’urgence, conformément aux dispositifs de la loi 103-13 que sont la sensibilisation, la prévention, la prise en charge et la répression. Nous nous sommes également penchés sur l’autonomisation.

C’est ainsi que nous avons mis en place ce qu’on appelle des incubateurs sociaux pour accompagner et aider ces femmes à devenir plus autonomes et contribuer, ainsi, à son développement personnel et cognitif. D’ailleurs, nous avons lancé un programme de formation de 36 000 femmes, soit 3 000 par région, en collaboration avec les conseils régionaux, pour une enveloppe budgétaire de 250 millions de DH que nous avons pu collecter. Chose qui nous a permis de réserver un budget pour accompagner l’autonomisation des femmes pour les années à venir.

La violence revêt multiples formes, en l’occurrence la violence numérique, quelles sont les actions menées dans ce sens ?
J’attire l’attention sur la campagne de lutte contre la violence à l‘égard des femmes lancée par le ministère qui est menée sous le thème de la violence digitale. Le choix n’est pas anodin parce que c’est une forme de violence qui se répand actuellement. Certes la digitalisation est bien avancée dans notre pays et c’est une prouesse en soi, mais il faut bien encadrer ce champ. Il y a une continuité de l’espace réel vers l’espace virtuel ou communément appelé l’espace augmenté. Mais le revers de la médaille est plus critique, dans le sens où les mauvaises pratiques et les dysfonctionnements sociétaux de la vie réelle s’appliquent au monde virtuel, mais malheureusement de manière plus amplifiée. D’où l’importance d’instaurer des lois à l’image du monde réel. Certes la loi 103-13 inclut les violences numériques, mais il y a encore une multitude de formes de violence qui n’est pas encadrée comme le voyeurisme. La sensibilisation et la culture doivent s’effectuer à grande échelle, car la plupart d’entre nous ne réalise pas qu’il s’agit d’un problème sociétal. Il y a encore beaucoup à faire.

Concrètement, comment contrer ces agissements ?
 Il y a un observatoire de la violence numérique qui est en train d’être réactivé. Dans la nouvelle stratégie du ministère, l’axe de la digitalisation est un des piliers majeurs. D’ailleurs, toute l’infrastructure a été revue de fond en comble afin de collecter la data des différents centres qui sont au nombre de 4 000 au niveau de l’Entraide nationale. Ceci nous permettra de cartographier cette violence et de la classer, sachant qu’il y a déjà un effort colossal fourni par la DGSN et la Gendarmerie royale. C’est ce qui concerne l’arsenal juridique, qu’il faut améliorer davantage, mais je reste convaincue que la dimension sociale et sociétale demeure primordiale. Et comme la famille fait partie du périmètre du ministère, nous avons mis en place une politique familiale qui consiste à développer des services d’accompagnement pour les familles. Il est important de travailler sur la socialisation des enfants dès le jeune âge. D’ailleurs, les experts en sociologie s’accordent à dire que les schémas sociétaux se construisent chez les enfants entre 0 et 6 ans. Et c’est là où l’accompagnement est impératif. Avant, il y avait les centres de jeunesse qu’il faut réactiver. Il faut que la famille soit un espace de promotion de l’égalité homme/femme. Donc cette socialisation est fondamentale.

Aujourd’hui, avec l’avènement de la crise pandémique, les paradigmes ont changé. Quelles sont les priorités pour votre département après cette période ?
Nous avons beaucoup travaillé sur la femme, ainsi que les personnes en situation de handicap pour assurer une offre d’accompagnement et de scolarisation des enfants, et ce, dans le cadre du programme gouvernemental qui accorde 500 millions de dirhams réservé aux associations qui viennent en aide aux enfants en situation de handicap. La migration du programme «DAAM» vers le Registre national unifié, qui permet le ciblage des personnes en précarité, est de pouvoir apporter une offre appropriée à leur situation. Ce qui va nous aider à élaborer une offre sociale pour les citoyens. Grâce à ce chantier royal, nous pouvons mettre à disposition des offres adaptées aux besoins des citoyens.

En ce qui concerne le volet de la protection sociale, quels sont les futurs chantiers prévus par le ministère ?
Aujourd’hui, il est totalement inacceptable d’avoir des enfants dans les rues, ou dans des situations difficiles. Afin de remédier à cette problématique, nous avons introduit la digitalisation de manière incontestable, avec notamment l’instauration d’un système de référencement, qui va appuyer les dispositifs territoriaux intégrés de la protection de l’enfance. Il faut noter qu’on ne peut se couper de la société civile, qui est un acteur fondamental, c’est pourquoi on a réhabilité les unités de protection de l’enfance (UPE), qui sont des associations qui font un travail extraordinaire. Le ministère va donc financer les ONG pour qu’ils animent, à leur tour, les UPE. Ainsi, chaque UPE se connecte à un centre d’accompagnement et de protection sociale (CAP), qui joue le rôle de secrétariat provincial, piloté par le gouverneur. De même, on va généraliser les services d’assistance sociale (SAS) mobile qui ont pour rôle de localiser les enfants qui sont dans les rues, de coopérer avec les UPE, et signaler la réception ou la localisation d’un enfant dans la rue au CAP, qui à son tour l’introduit dans le système d’information. Tout ce système nous amène à l’instauration d’un nouveau concept qui est ‘’les familles d’accueil’’. La famille qui s’occupe de l’enfant recevra bien évidemment une aide financière. Elle est choisie selon des critères bien précis. Idem pour les personnes âgées, on privilégie que les personnes âgées soient accueillies dans les familles d’accueil et non dans les structures d’accueil. L’atmosphère familiale est importante pour leur bien-être. Le programme est clair et net, il faut à présent réguler ce système et entamer les formations.

 

Ce modèle a déjà été testé à l’étranger, et on a vu qu’il a montré ses limites, les enfants peuvent être victimes de violences. Comment peut-on éviter ces risques ?
On va procéder au Benchmark, ainsi qu’à la formation de 10 000 assistantes d’ici 2030, à raison de 1000 assistantes chaque année. Il faut qu’il y’en ait une dans chaque commune, ce sont elles qui vont aller voir la mineure qui ne va plus à l’école, la femme violentée, la personne âgée, ou autre cas de figure. Il faut donc mettre en place cet écosystème, renforcer le lien social, et faire développer l’écosystème durablement et efficacement, de façon à ce que l’enfant ou la personne âgée pris en charge, ne deviennent pas un poids pour la famille d’accueil. Bien évidemment, les services sociaux vont être développés pour tous les Marocains, du milieu urbain comme rural. Avec le Registre social unifié et la digitalisation, on va pouvoir cartographier le territoire, avoir une adéquation entre les moyens et les besoins, et ainsi parvenir à une équité territoriale. En ce qui concerne la formation des assistantes, on va s’appuyer sur le digital, grâce auquel les coûts seront amoindris. Et pour ce qui est des travailleurs sociaux, il existe déjà des personnes qui travaillent dans le social, il faut juste régulariser leur situation. A ce propos, on a élaboré un nouveau décret pour l’accréditation des travailleurs sociaux.

Qu’en est-il de l’acteur privé, qui n’est pas suffisamment présent sur l’action sociale ?
Il y’a énormément de monde dans le privé qui veut contribuer mais qui demande à être rassuré, et ce, avec des résultats concrets. Il faut un écosystème transparent, avec une règlementation pour rassurer non seulement le secteur privé mais la société civile également.

Il y’a un grand amalgame en matière de parité, on a tendance à croire que votre département met dans le même sac le code de la famille, l’héritage… Il y’a des périmètres qui sont bien définis, comment clarifier les choses ?
Quand on parle d’équité et de parité, tous les départements sont concernés, le nôtre est celui que l’on appelle, dans le jargon onusien, le mécanisme national pour l’égalité et parité, celui qui essaye de coordonner les efforts de tous les autres départements pour qu’on puisse aller de l’avant et dans le même sens. Malgré les réformes et les progrès réalisés quant aux discriminations à l’égard de la femme, l’adéquation avec la mutation sociale manque à l’appel. Le message du Roi Mohammed VI est clair, on ne peut plus accepter que la femme soit privée de ses droits et qu’elle ne participe pas pleinement au développement du pays. Au Maroc, c’est dans la représentation de la femme à l’égard de l’homme que réside le problème. Il faut qu’il y ait un remaniement profond dans les mentalités. On n’y arrivera jamais si on ne s’appuie que sur les lois. Il est nécessaire que chaque individu se remette en question.

Ce n’est pas normal que tous les regards soient portés sur le corps d’une femme qui passe dans la rue, c’est inadmissible. Cela dit, je reste optimiste, petit à petit, on va y arriver. D’ailleurs, on a adopté une approche globale et intégrée qui intègre les quatre piliers onusiens relatifs à l’élimination de toutes les formes de violence à leur égard, à savoir la prévention, la protection, la criminalisation et la prise en charge. Notre département s’attelle à la mise en œuvre des engagements contenus dans la «Déclaration de Marrakech» en tant que feuille de route ambitieuse pour éliminer le phénomène de violence contre les femmes et les filles. Au mois de juin, le conseil du gouvernement a procédé à l’opérationnalisation de la commission nationale pour l’égalité des sexes et l’autonomisation de la femme. On a opté pour une commission nationale et non ministérielle pour justement être dans l’approche participative et inclure la société civile, les élus, ainsi que les ONG.

Serait-ce dû à la perte de certaines valeurs ?
Je suis une scientifique, et je dirais que tout se construit. Si on veut parvenir à remettre les valeurs en avant, il faut qu’on accompagne les enfants dans leur éducation dès leur plus jeune âge. Tout le monde doit contribuer pour produire une offre d’épanouissement et de bien-être, dans l’optique d’avoir une société où le respect, l’épanouissement et les valeurs seront retrouvés.

Si vous deviez définir la famille marocaine en trois mots ?
Ouverte d’esprit, solidaire et persévérante.

Création de 12 incubateurs sociaux au niveau national 

Le département de Aawatif Hayar continue sur sa lancée en matière de promotion de la situation des femmes au Maroc et présente le contenu de sa niche. Le ministère envisage de créer 12 incubateurs sociaux de référence au niveau national. Soucieuse de la situation de la femme au Maroc, Hayar a profité de la journée d’étude organisée en partenariat avec l’Agence de développement social sur les incubateurs sociaux comme levier pour l’inclusion sociale des femmes, pour indiquer que son département compte également s’appuyer sur des incubateurs qui ont accumulé une expérience de terrain en matière d’inclusion sociale des femmes, à travers l’activité économique. Ajoutant que la répartition territoriale des incubateurs sociaux est au centre de la nouvelle stratégie du ministère, comme étant un levier d’un développement social inclusif, innovateur et durable.

Vers une économie des soins

Avec ONU femmes, le ministère de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille mène un programme pour renforcer l’écosystème social à travers lequel des emplois sont créés en faveur des femmes. Libérer le temps des femmes est important, d’où la nécessité de créer des infrastructures pour la petite enfance et la prise en charge des bébés. Notre pays est très avancé en matière de préscolaire mais concernant les 1000 jours, à savoir de la naissance jusqu’à l’âge de 4 ans, il n’y a pas d’infrastructures dédiées. Ainsi, une réflexion a été menée dans ce sens. En effet, avec l’Entraide nationale, le département de tutelle est en train de mettre en place des «crèches sociales» dans différents quartiers. Pour animer ces crèches, un programme de formation des travailleurs sociaux a également été développé dans le but de constituer une véritable économie des soins.

Quid du mariage des mineurs ?

La lutte contre le mariage des mineurs est également une forme de violence virulente à l’égard des petites filles. Dans ce sens, le ministère a entamé une initiative avec l’Éducation nationale, le Ministère public et le ministère de la Solidarité, en partenariat avec l’Entraide nationale ainsi que la Gendarmerie royale et la DGSN, qui consiste à diffuser des alertes par les écoles et les académies, dans le cas où des petites filles s’absentent pendant plus de trois semaines. A partir de cette année, le ministère de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille intègre le circuit et intervient auprès des familles pour déceler les raisons de l’absence et essayer de ramener l’enfant sur les bancs de l’école. Un programme d’accompagnement des filles victimes de mariage précoce est mis en place. Comme le problème y afférent est souvent lié à des soucis économiques et sécuritaires, le département a réhabilité «Dour Attaliba», notamment dans le milieu rural, pour accueillir ces jeunes filles en toute assurance.

Travailleurs sociaux, l’embauche est très sélecte 

Le process est déjà mis en place, le travailleur social se présentera devant un jury dans les provinces pour présenter ses expériences. Le jury valorisera deux ou trois modules et proposera une offre de formation qui permettra de compléter le bouquet de formation et obtiendra ainsi l’accréditation sous forme de carte. Cette dernière sera dotée d’un QR code, qui permettra à la famille de scanner et vérifier les informations sur la personne. Si un travailleur social ne répond pas aux critères et à la déontologie du métier, il sera rayé de la liste.

Maryam Ouazani & Kenza Aziouzi / Les Inspirations ÉCO


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