Economie

Paysage carbone méditerranéen : où en est le Maroc ?

Le rapport Plan Bleu souligne la vulnérabilité climatique accrue du Maroc malgré un coût social du carbone (CSC) projeté inférieur à celui de l’Europe. Il plaide pour une tarification progressive couplée à une redistribution sociale ciblée via des mécanismes comme le RAMED. Détails.

Le volume II du rapport du Plan Bleu offre un éclairage précieux sur les défis et les leviers de la transition écologique dans le Bassin méditerranéen. Une analyse fine des modèles économiques présentés, notamment dans le chapitre 12 dédié au coût social du carbone (CSC) et aux scénarios de taxe carbone, révèle des implications cruciales pour le Royaume du Maroc. Retenons l’essentiel de ce qui nous concerne directement.

Le modèle RICE-MED étendu place le Maroc, aux côtés de pays d’Afrique du Nord et du Bassin méditerranéen oriental comme l’Égypte, dans une catégorie distincte des nations européennes du sud. Le diagnostic est clair : «Des pays d’Afrique du Nord […] montreront des valeurs de CSC plus faibles, entre 400 et 600 dollars par tonne de CO₂» d’ici 2100. Un chiffre, inférieur aux 750-800$/tCO₂ projetés pour la France, l’Espagne ou l’Italie, qui ne doit cependant pas masquer une réalité fondamentale.

Cette estimation plus basse reflète avant tout des niveaux d’activité économique et d’émissions historiques moindres par rapport à l’Europe, et non une moindre vulnérabilité. Bien au contraire, le rapport souligne explicitement que ces pays, dont le Maroc, ont une «grande vulnérabilité aux impacts climatiques». La sensibilité climatique, identifiée comme le paramètre ayant la plus forte influence sur le CSC, est particulièrement critique pour des régions déjà confrontées à des températures élevées et à des vagues de chaleur.

L’impératif d’une approche progressive et différenciée de la tarification carbone
L’analyse des scénarios de taxe carbone conduit à une recommandation centrale pour le Maroc et ses voisins nord-africains : «Les pays d’Afrique du Nord, plus dépendants des combustibles fossiles et moins diversifiés, devraient adopter une approche progressive pour éviter des perturbations économiques majeures». Ce constat est capital. Il reconnaît la double contrainte structurelle pesant sur le Royaume.

La première contrainte est la dépendance aux combustibles fossiles. En effet, malgré des progrès significatifs dans les énergies renouvelables, l’économie marocaine reste fortement tributaire des importations d’énergies fossiles, rendant une transition brutale coûteuse et potentiellement déstabilisatrice pour les industries et les ménages.

Selon les données de l’Office des Changes, les plus récentes disponibles à l’heure où nous mettions sous presse, notamment celles de fin avril 2025, la facture énergétique à date s’élève à 37,297 milliards de dirhams, en baisse de 4,9% ou 1,905 milliards de DH en valeur. Une évolution qui fait suite, essentiellement, à la baisse des approvisionnements en gasoils et fuel-oils de -13,7% sous l’effet prix en recul de -17,6%, et ce, malgré la hausse des quantités importées de 4,7%.

Le deuxième constat est relatif à la diversification économique. Comparé aux économies européennes du sud, la structure économique marocaine peut la rendre moins résiliente face à un choc tarifaire immédiat et uniforme sur le carbone.

Le rapport rejette donc catégoriquement l’idée d’une taxe carbone uniforme à l’échelle méditerranéenne, la qualifiant de «politiquement irréaliste au vu des différences régionales en termes de capacité fiscale, de dépendance énergétique et de soutien public aux réformes». Une affirmation qui souligne la nécessité pour le Maroc de défendre et de mettre en œuvre une trajectoire de tarification carbone adaptée à ses capacités économiques et à ses impératifs de développement, tout en accélérant les réformes structurelles de diversification et de décarbonation.

L’équité sociale comme clé de voûte
L’acceptabilité et la réussite d’une taxe carbone au Maroc reposent fondamentalement sur la gestion des impacts sociaux. Le rapport est on ne peut plus explicite : «L’acceptabilité publique s’améliore lorsque les revenus issus des taxes sont recyclés de manière transparente».

Pour l’Afrique du Nord, et donc le Maroc, il propose des pistes concrètes d’utilisation de ces revenus potentiels : «Financer des transferts monétaires, l’accès à l’énergie en milieu rural ou des subventions, en s’appuyant sur des programmes existants tels que le Takaful en Égypte ou le RAMED au Maroc».

Cette mention spécifique du Régime d’assistance médicale aux économiquement démunis (RAMED) est hautement significative. Elle indique trois choses. A commencer par l’importance des systèmes sociaux existants.

Le RAMED, en tant que programme structuré de protection sociale, est identifié comme un canal crédible et efficace pour redistribuer une partie des revenus de la taxe carbone vers les populations les plus vulnérables, amortissant ainsi l’impact potentiellement régressif de la mesure (augmentation des coûts de l’énergie, des transports).

Deuxième indication : la priorité aux besoins essentiels. Le ciblage sur les transferts monétaires, l’accès à l’énergie rurale et les subventions (potentiellement pour des biens ou services essentiels, ou pour faciliter l’adoption de technologies propres) visent directement à préserver le pouvoir d’achat des ménages modestes et à soutenir le développement inclusif. La troisième et dernière indication est l’impératif de transparence. En effet, le succès dépendra d’une gestion irréprochable et visible des fonds collectés, renforçant la confiance des citoyens dans l’outil fiscal.

La différenciation comme principe d’action collective

Le volume II du Plan Bleu dessine pour le Maroc une voie étroite mais réaliste. D’un côté, le pays est clairement identifié comme nécessitant une approche progressive de la tarification carbone, en raison de sa dépendance énergétique et de sa structure économique.

De l’autre, il dispose, via des mécanismes comme le RAMED, d’un levier potentiel pour assurer l’équité sociale grâce au recyclage transparent et ciblé des revenus. «Il est […] recommandé d’adopter des approches différenciées plutôt qu’une taxe carbone uniforme», une recommandation qui a une résonnance particulière pour le Royaume, expert en négociations climatiques régionales. Un constat qui renforce la légitimité de ses positions visant à obtenir une flexibilité et un soutien adaptés à sa situation.

Ce constat fondamental du rapport Plan Bleu souligne aussi la responsabilité nationale de concevoir une feuille de route de tarification carbone techniquement solide, économiquement prudente et socialement juste, en s’appuyant sur ses dispositifs de protection sociale et en accélérant sa transition énergétique pour réduire sa vulnérabilité structurelle. La réussite de cette équation complexe sera déterminante pour l’avenir économique, social et environnemental du Royaume dans un bassin méditerranéen sous tension.

Vous avez dit modèle RICE-MED ?

Le modèle RICE-MED est une adaptation régionale du modèle Regional Integrated model of Climate and the Economy, spécifiquement calibré pour la Méditerranée (MED). Il calcule le coût social du carbone (CSC) pays par pays, simule des scénarios de taxation carbone, et projette leurs impacts économiques et environnementaux sur le long terme (2020-2100).

Ce modèle intègre les vulnérabilités climatiques locales et les paramètres socio-économiques pour générer des projections différenciées, cruciales pour des politiques adaptées.

Bilal Cherraj / Les Inspirations ÉCO


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