Culture

Rabat: des oeuvres de Mahi Binebine exposées à la galerie Abla Ababou

Le romancier et plasticien marocain inaugure un nouvel espace d’art au Maroc: la galerie Abla Ababou de Rabat. Intitulée « Mémoire en mouvements », cette rétrospective propose des œuvres monumentales de l’artiste, dans un lieu lui-même magnifique.

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Par Olivier Rachet

« Je vous dois la vérité en peinture et je vous la dirai », écrivait le peintre français Paul Cézanne, en 1905, dans une lettre adressée au peintre Émile Bernard. La vérité pour Mahi Binebine, qui pourrait faire siens ces propos, est celle des corps meurtris et anonymes, celle des âmes blessées, celle des migrants et des prisonniers politiques, de tout homme ayant souffert dans sa chair et son sang les bruits et les fureurs de l’Histoire.


Au sujet d’une sculpture en bronze, datant de 2010, composée d’un visage au regard perdu et d’une bouche d’où sort étrangement la paume d’une main –pouvant faire penser à La Bocca della Verità romaine – Mahi Binebine répond à la galeriste Abla Ababou qui lui enjoint de raconter cette œuvre: « Je suis incapable de parler de mon travail ». Il s’agit moins d’un refus ou d’une quelconque forme d’impuissance mais bien plutôt d’une attention et d’un respect à l’égard du spectateur. La liberté d’interprétation est toujours préservée dans le travail plastique d’un artiste dont les motifs ne sont jamais édifiants. La fragilité des destins, la pudeur des sentiments : tels sont les variations à partir desquelles se compose depuis une trentaine d’années son œuvre.

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La chute des corps

On connaît ces enchevêtrements des corps si familiers du peintre, ces motifs du quadrillage et de l’enfermement renvoyant aux années de plomb de l’Histoire marocaine. Le titre de l’exposition actuelle insiste davantage sur le caractère cinétique des figures, leur mouvement gravitationnel comme si les êtres anonymes peints par Binebine étaient emportés par des forces centrifuges plus fortes qu’eux. On distingue des cuves aspirant les hommes, des roues évoquant une allégorie du destin et des vicissitudes du Temps.  Les images du Jugement dernier de Michelange ne sont jamais loin comme si l’enfer était moins l’image d’une malédiction à venir que le souvenir d’époques d’une cruauté indicible.

S’il ne croit peut-être pas à une résurrection des corps, qui semblent toujours peu ou prou marqués par le poids d’une chute originelle dont on comprend qu’elle pourrait être le fardeau même de l’Histoire et de la politique, Mahi Binebine apporte toujours une touche d’apaisement et de réconciliation à son travail. Les couleurs claires, parfois chaudes, qui ont sa prédilection ; les gestes de consolation, de tendresse et d’ouverture qui parcourent la plupart de ses tableaux : tout contribue à créer une note malgré tout harmonieuse. La diversité des matériaux – cire et pigment sur bois ou goudron et huile sur papier – permet de mettre en relief les figures peintes qui sont autant de frères humains dont le spectateur ressent la proximité.

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Au bord du gouffre

Toute la force de cette peinture réside alors dans la vérité humaniste qui est la sienne. Si nous sommes emportés dans un tourbillon qui nous dépasse, il est toujours des gestes attendris qui sauvent l’humanité du marasme dans lequel elle semble parfois se complaire. On pourrait illustrer chacune de ses toiles par les mots du poète Aragon qui, au bord du gouffre, a reconnu le visage de l’amour dans une simple main  tendue: « Il n’aurait fallu / Qu’un moment de plus / Pour que la mort vienne / Mais une main nue / Alors est venue / Qui a pris la mienne ». Mettre la mémoire en mouvement, n’est-ce pas aussi, d’une certaine façon, pardonner et accepter l’idée, comme l’écrit le romancier dans son dernier ouvrage Le fou du roi, que les bourreaux n’existent pas vraiment ?

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Galerie Abla Ababou, exposition Mémoire en mouvements de Mahi Binebine, jusqu’au 27 août 2017, quartier Souissi, Rabat.

 

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