Maroc

Maroc–États-Unis : une alliance stratégique à l’épreuve du temps

Près de cinq ans après la proclamation américaine reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara, Rabat et Washington élargissent leur partenariat à tous les domaines : diplomatique, économique, militaire, sécuritaire et technologique. Dans un contexte mondial incertain, le Royaume, adossé à sa stabilité institutionnelle et à une diplomatie proactive, s’impose comme un partenaire pivot. Décryptage d’une relation qui se réinvente, au moment où bien des équilibres basculent.

Lorsque, le 10 décembre 2020, Donald Trump signait la proclamation présidentielle reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara, la diplomatie marocaine réalisait un coup d’éclat qui continue de porter ses fruits. Cette décision, que l’administration Biden avait choisie de ne pas remettre en cause, est aujourd’hui activement réaffirmée par l’équipe Trump 2.0, avec un Marco Rubio au Département d’État et des relais solides au Congrès.

Cette reconnaissance a brisé un tabou. La question saharienne n’est plus traitée comme un dossier gelé de l’ONU, mais comme pierre angulaire d’une nouvelle architecture sécuritaire et économique pour l’Afrique du Nord et l’Atlantique. Depuis plusieurs mois, une frange influente du Parti républicain plaide pour un désengagement financier de la Minurso, jugée inefficace et coûteuse. L’idée ? Pousser le dossier vers une solution pragmatique, basée sur le plan d’autonomie, déjà soutenu par Paris, Madrid, Berlin et Londres. Les éditorialistes martèlent : pourquoi financer une mission onusienne figée, alors que le partenaire marocain offre une stabilité rare, un engagement antiterroriste reconnu et un accès privilégié à l’Afrique de l’Ouest ? Mieux, une proposition de loi est actuellement en débat pour classer le front séparatiste du Polisario comme organisation terroriste.

Dans ce jeu d’influence, la diplomatie marocaine multiplie les ponts. Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, Rabat déploie une politique africaine ambitieuse. Investissements massifs en Afrique subsaharienne, développement de corridors logistiques et négociations avancées sur le Gazoduc Nigéria–Maroc (un projet soutenu tacitement par Washington, soucieux de réduire la dépendance européenne au gaz russe ou algérien).

Sur le plan sécuritaire, le Royaume agit comme un pivot entre l’Afrique du Nord, le Sahel et l’Atlantique, trois zones devenues critiques pour la lutte contre le terrorisme, l’immigration illégale et la criminalité transnationale. Pour Washington, le Maroc reste un point d’appui logistique et humain à même de contrer la poussée des groupes armés affiliés à Daech ou Al-Qaïda dans la bande sahélienne.

Coopération militaire : cap sur l’Africom
Les exercices African Lion, plus grand déploiement militaire conjoint en Afrique, incarnent la profondeur de cette alliance sécuritaire. Organisées chaque année sur le sol marocain, ces manœuvres mobilisent plus de 7.000 soldats américains et marocains, mais aussi des contingents européens et africains. La perspective de transférer le QG de l’Africom – actuellement basé à Stuttgart – vers le Maroc revient régulièrement dans les débats stratégiques au Sénat américain.

Au-delà du symbole, ce déménagement consacrerait le Royaume comme base avancée de la projection américaine sur le continent. Le choix n’est pas anodin. Stabilité politique, infrastructures modernes, proximité de l’Europe et accès à l’Atlantique sud font du Maroc un candidat naturel. Moins médiatisée, la coopération en matière de renseignement est l’un des piliers silencieux de cette relation bilatérale. Rabat reste l’un des principaux partenaires africains du FBI, de la CIA et d’Interpol pour le partage d’informations sur les réseaux jihadistes.

Les récentes visites à Rabat de William Burns (CIA) et Christopher Wray (FBI) illustrent cette confiance mutuelle. En coulisses, le patron du pôle sécuritaire marocain, Abdellatif Hammouchi, joue un rôle central. Sa direction, la DGST, est considérée comme l’une des plus efficaces du continent. Sa capacité à neutraliser des cellules dormantes ou à alerter ses homologues européens a contribué à éviter plusieurs attentats majeurs sur le sol occidental.

ALE : un accord unique en Afrique
Sur le front commercial, le Maroc est le seul pays d’Afrique à bénéficier d’un Accord de libre-échange (ALE) avec les États-Unis. Signé en 2004 et entré en vigueur en 2006, cet ALE connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. La nouvelle administration Trump mise sur des accords bilatéraux, plus que sur des grands traités multilatéraux.

Dans ce contexte, les droits de douane révisés à 10% pour le Maroc (contre 34 % pour la Chine) illustrent un choix stratégique, celui d’encourager une plateforme de production marocaine tournée vers les marchés américain et africain. De grandes entreprises américaines, comme Boeing ou Lear, renforcent déjà leur présence dans l’aéronautique et l’automobile. L’alliance se diversifie également vers les industries du futur : numérique, cybersécurité, intelligence artificielle, énergies renouvelables…

La récente visite de Leila Benali, ministre de la Transition énergétique, à Houston, ou la présentation de «Maroc Digital 2030», par Amal El Fallah Seghrouchni, en sont la preuve. Rabat veut se positionner comme un hub technologique régional. Dans l’énergie, le Maroc reste un partenaire clef des Américains pour développer des solutions alternatives comme le solaire, l’hydrogène vert et, surtout, la sécurisation de la route du gaz atlantique reliant l’Afrique de l’Ouest à l’Europe via Tanger.

Malgré cette dynamique, les chiffres montrent un potentiel encore largement sous-exploité. En 2024, les importations marocaines de produits américains ont bondi de 37%, à 5,3 milliards de dollars, mais les exportations marocaines vers les États-Unis, elles, plafonnent à 3% des exportations totales du Royaume. Une grande mission commerciale, prévue cet automne, vise à inverser la tendance. Plus de quinze États américains, des agences fédérales et de grandes entreprises explorent actuellement des opportunités dans l’agroalimentaire, les engrais, la logistique portuaire ou l’automobile.

Le lobbying marocain à Washington reste l’un des plus actifs d’Afrique. La disparition de figures hostiles comme Patrick Leahy ou James Inhofe ouvre une fenêtre de rééquilibrage. Les visites de délégations parlementaires américaines à Dakhla et Laâyoune se multiplient, ce qui équivaut, de facto, à une normalisation de la présence américaine dans le Sahara. Trois sénateurs hispaniques, influents au Sénat, ont même choisi Dakhla pour prononcer un discours vantant «l’exemple marocain» en matière de développement régional, un signal fort envoyé aux adversaires de la souveraineté marocaine.

La diplomatie nationale s’efforce en même temps de contrer les angles morts en renforçant sa communication et en multipliant les explications auprès des médias et think tanks de Washington. Plus de deux siècles après avoir été le premier pays à reconnaître l’indépendance américaine en 1777, le Maroc s’impose comme un allié fiable, ancré à la fois en Afrique, en Méditerranée et sur l’Atlantique.

Avec le retour de Trump, l’équation se précise. Pragmatisme économique, alignement sécuritaire et continuité diplomatique. Un trio qui place Rabat au centre de l’échiquier mondial. L’enjeu pour le Royaume est de consolider ce capital stratégique sans négliger les sensibilités internes et régionales, tout en gardant une capacité de diversification, notamment vers l’Europe et l’Asie.

Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO


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