Culture

Mahi Binebine: « Je me suis réconcilié avec mon histoire et avec mon pays »

A l’occasion de la sortie de son dernier roman, Le fou du roi, aux éditions Le Fennec, l’artiste marocain s’entretient, en exclusivité, avec Le Site info. L’écrivain viendra à la rencontre du public le vendredi 21 avril, à 19h30, à l’Institut Français de Casablanca et le dimanche 23 avril, à 15h30, au Salon du Livre de Marrakech.

Propos recueillis par Olivier Rachet

Le Siteinfo: Votre dernier roman Le fou du roi rompt, par son caractère autobiographique, avec les chroniques sociales que vous écriviez jusqu’à présent. Quel a été l’élément déclencheur d’un récit que vous envisagiez d’écrire, apparemment, depuis fort longtemps ?

Mahi Binebine : C’est, en effet, un texte qui me poursuivait depuis longtemps. J’avais très peur de ce livre car il s’agit d’une histoire très intime. Souvent quand j’ai écrit des textes ou des articles sur le sujet, j’ai toujours pris parti pour mon frère qui avait été prisonnier à Tazmamart. Dans ce texte-là, j’ai pris la décision de donner la parole à mon père. Le narrateur est mon père, lui qui voyait mon frère comme un assassin. Je lui ai donné la parole, j’ai suivi sa logique narrative.

C’est un livre qui m’a vraiment coûté. J’ai mis trois ans à l’écrire. Mon père est mort depuis déjà quelques temps et j’ai dû vouloir faire la paix. J’ai essayé d’écrire un livre de réconciliation avec mon histoire, avec ce pays qui nous a maltraités pendant longtemps.

Le Site info : Vous réhabilitez la figure de votre père, homme de culture, « fqih Mohamed » comme il se baptise lui-même en raison de son érudition, et bouffon du roi. Pourquoi avoir opté pour une écriture à la première personne ? De façon plus générale, quels souvenirs d’enfance gardez-vous de votre père ?

 Mahi Binebine : J’ai choisi d’écrire à la première personne pour m’obliger à épouser la position de mon père qui, je le rappelle, n’est pas forcément la mienne. Les gens ne me croient pas quand je dis que je ne suis pas forcément d’accord avec le narrateur. J’ai laissé mon père parler et raconter ses propres blessures.

Pour tout vous dire, mon père je ne l’ai pas trop connu. Mes parents se sont séparés quand j’avais trois ou quatre ans. Ce livre était une occasion pour moi de le rencontrer. J’ai un demi- frère qui a filmé mon père pendant vingt-cinq ans. Il lui racontait sa journée au palais avec Hassan II. Mon frère m’a donné un disque dur avec ces images. J’ai découvert mon père à travers ces vidéos. Avant je le voyais avant tout comme un monstre qui avait renié mon frère. Puis il y a eu cette rencontre, à travers ces vidéos.

Le Site info : Votre roman est aussi la chronique d’une fin de règne, à laquelle le réalisateur Hicham Lasri s’est aussi intéressé, de façon plus subversive, dans son film intitulé The End. Pourquoi avoir choisi d’évoquer les derniers jours de feu le roi Hassan II ?

Mahi Binebine : Cela me faisait plaisir que les années de plomb finissent. Il me fallait trouver aussi une construction, donc j’ai choisi trois jours avant la mort du roi Hassan II. Quelque part, je l’ai un peu humanisé… Sans doute est-ce la raison pour laquelle le roman n’a pas été interdit.

Le Site info : Le fou du roi réhabilite surtout la figure de votre frère, Aziz Binebine, ayant lui-même publié un témoignage de ses années d’emprisonnement dans le recueil intitulé Tazmamort. Vous placez votre récit sous le signe de la réconciliation et de la compréhension du mal. Diriez-vous que ce livre a une visée cathartique ?

Mahi Binebine : Oui absolument. C’est une vraie catharsis. Je me suis libéré de certaines blessures. J’ai vécu en dehors du Maroc pendant le règne de Hassan II. Il était alors hors de question, pour moi, de revenir dans ce pays. C’est en 2002 que je suis revenu: quand j’ai vu Le Pen au deuxième tour de la présidentielle en France, ce pays des droits de l’Homme ! Je me suis dit alors que j’allais gérer mes propres extrémistes. Je suis rentré quand le lion est mort et que Mohammed VI a donné des signes d’ouverture. Les journaux se portaient mieux. On leur a fichu la paix même si de temps en temps, on tue encore les journaux mais autrement, en les privant par exemple de subventions. Mais il faut dire qu’on ne risque plus sa peau en écrivant aujourd’hui un article. Les détenus politiques sont rentrés eux aussi. Je voyais que le Maroc changeait donc je suis rentré. Aujourd’hui, je suis heureux dans ce pays qui est en plein changement, en véritable chantier.

Le Site info : La gémellité est souvent au cœur de vos œuvres plastiques. Vous montrez des corps qui s’unissent ou s’étreignent, tout en restant en partie irréconciliables. Parfois ces mêmes corps sont rattachés par des liens semblant indénouables. Peut-on y voir l’allégorie de ce lien à la fois fraternel et conflictuel qui semble vous relier à votre famille ?

Mahi Binebine : Tout à fait. Je suis peut-être un peu schizophrène, à ma façon. Quand j’écris le matin et que l’après-midi je suis dans mon atelier, je reste habité par tous ces personnages. Je suis eux. Je ne peux pas peindre autre chose que ce qui m’habite. Evidemment il y a un lien inextricable entre ces deux disciplines.

Le Site info : On parle d’une possible adaptation de votre roman par le réalisateur Nabil Ayouch, ayant déjà porté à l’écran votre roman Les étoiles de Sidi Moumen. Qu’en est-il ?

Mahi Binebine : Rien n’est encore signé. Lui est très intéressé. Je ne sais pas si cela va se faire. C’est un roman qui peut être aussi bien adapté au cinéma qu’au théâtre, comme il s’agit d’un huis-clos. On l’a déjà vendu dans huit pays différents, ce qui ne m’était jamais arrivé : aux anglais, aux italiens, aux espagnols, aux néerlandais… C’est inédit.

Mon roman est shakespearien. Comme je l’écris sur la quatrième de couverture: « Je suis né dans une famille shakespearienne entre un père courtisan du roi et un frère banni dans une geôle du Sud ». Mais il y aussi la personnalité du roi Hassan II qui continue de fasciner. Il a marqué les mémoires et a sa place dans l’Histoire.

Le Site info : Vous revenez du Salon du Livre de Paris où le Maroc était invité d’honneur. Quel regard porte-t-on de France sur la littérature marocaine ? Certaines plumes célébrées à Paris, telles que celles de Tahar Ben Jelloun ou Leïla Slimani, n’occultent-elles pas l’effervescence littéraire et artistique d’une nouvelle génération peu soucieuse d’aller chercher une reconnaissance à l’étranger ?

Mahi Binebine : On a été hyper gâtés. Quand on dit invité d’honneur, on a vraiment été à l’honneur. J’ai fait six ou sept radios. Le public était heureux de découvrir des auteurs qu’il ne connaissait pas comme Baha Trabelsi, Anissa Mariam Bouziane.

Les rencontres ont toutes été de grande qualité. Plusieurs librairies dans toute la France ont consacré leurs vitrines aux écrivains marocains. Je ne comprends pas que l’on ait pu attaquer Younès Ajjarai (commissaire général du pavillon Maroc). Son travail n’a pas été salué à sa juste valeur.

O.R.


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