Culture

Mehdi Hadj Khalifa: « ceux qui décident sont rarement ceux qui comprennent au Maroc »

Mehdi Hadj Khalifa, entrepreneur marocain et enfant d’Internet qui vit par le web et dans le web, fait partie d’une nouvelle génération de créateurs de concepts à Paris.

Fondateur de l’agence Another Life Technologies, en 2004, il collabore avec différentes agences et collectifs indépendants à Paris, Berlin, New York et dans d’autres métropoles. Son engagement dans différents domaines de la création lui confère rapidement une forte crédibilité et une influence dans la production et le développement de projets axés sur la création (art, architecture, design, mode). Il est vite amené à créer du contenu pour des marques, et cela à un niveau international, en tentant d’y intégrer de façon récurrente une dimension hyper-créative.

En 2007, il co-fonde les magazines Balack et Intersection, où il a rencontré des personnalités telles que Karl Lagerfeld, Hedi Slimane, Daft Punk, Zaha Hadid, Renzo Rosso, Jeremy Scott, Bret Easton Ellis, Philippe Starck, Kanye West, Amy Winehouse, Claude Levêque, Tracey Emin, Claire Fontaine…

Au-delà de ses projets professionnels, Mehdi est aussi le fondateur du mouvement marocain Évolution et fait partie d’une génération, témoin d’une nouvelle vague de révolution industrielle, qui aspire à contribuer au changement du Maroc. Entretien.


Le Site Info : Pourquoi parlez-vous d’une 3e révolution industrielle ?

Mehdi Hadj Khalifa : Il y a avant tout un étouffement de nos économies sous la dépendance des énergies fossiles. On observe que toutes les grandes révolutions économiques de l’histoire se produisent chaque fois que de nouvelles technologies de communication apparaissent appelant de nouvelles sources d’énergie. La crise (au sens étymologique : le changement) que nous connaissons aujourd’hui tient principalement au fait que nous cherchons à restaurer ou à prolonger artificiellement les « vieilles recettes » de la seconde révolution industrielle, plutôt que de se projeter dans une troisième révolution fondée sur le couplage des technologies de l’Internet et des énergies nouvelles.

Pour quelle raison va-t-il y avoir cette révolution ?
Toute l’infrastructure fondée sur les énergies fossiles est dans un état d’obsolescence avancée. Il en résulte une hausse dramatique des taux de chômage. Les gouvernements, les entreprises et les consommateurs sont submergés par les dettes, les niveaux de vie s’effondrent. Un milliard d’êtres humains sont confrontés à la faim. Pire encore, les premiers signes du changement climatique, engendrés par ce modèle, font leur apparition, mettant ainsi en péril les capacités de survie de notre espèce. Il devient de plus en plus évident que la seconde révolution industrielle est en train de disparaître, et que nous avons besoin d’un tout nouveau récit économique pouvant nous mener vers un avenir plus en phase avec les comportements actuels.

Comment va-t-on donc s’y intégrer ?

Je peux vous dire, et cela avec certitude, que nous sommes bien placés pour nous y intégrer. Je m’explique : l’un des principes émis par Jeremy Rifkin, l’un des acteurs de la remise en question des modèles économiques « à la papa », est la notion d’économie circulaire qui casse l’économie verticale que nous subissons actuellement principalement basée sur le cycle extraire – fabriquer – consommer – jeter ; une économie ou la durabilité, la reconstitution, le fait de réparer au lieu de jeter est l’un des piliers de ce modèle. Aussi, la location prend le pas sur la possession, ce qui est la thèse de ce prix Nobel portant sur « l’âge de l’accès » induisant l’auto-partage, etc. Lorsque vous allez dans un espace tel que Derb Ghallef et que vous y observez toute une économie horizontale allant de la réparation à l’échange, vous y apercevez une rupture avec le marché standard tel qu’on le connaît ou croyait le connaître.

Au Maroc, notre retard industriel du 20e siècle doit à présent être vu comme une force. Nous n’avons pas de dépendance industrielle, de grandes unités qui doivent être transformées ni même abandonnées, tout est à construire ! Mais lorsque j’entends parler de planification industrielle du Maroc, basée sur un modèle obsolète en train de s’éteindre partout dans le monde, cela n’a aucun sens.

Selon vous, quels sont les problèmes du 20e siècle et leur impact sur cette nouvelle génération ? Et en quoi le 21e siècle serait une solution pour le Maroc ?
Le 20e siècle a été un siècle égoïste, démesuré et destructeur. L’énergie fossile a été le plus grand piège de l’humanité, même s’il est vrai qu’elle a permis en moins d’un siècle de réaliser des avancées record ainsi qu’une modification totale de notre mode de vie… Mais nous avons consommé en un siècle tout ce que la terre a fabriqué en des millions d’années ! L’homme a pressé la Terre comme une orange bleue pour ses besoins de consommation, de propriété ou encore de mobilité.

Et quelles sont vos solutions ?

La solution se trouve d’abord du côté politique, chez ceux qui décident, qui sont rarement ceux qui comprennent… Et ceux qui comprennent, car il y en a, ne dialoguent pas avec ceux qui décident. Ou plus précisément ne sont pas écoutés par eux. Or, je pense qu’il y a aujourd’hui urgence à connecter les acteurs politiques et ceux qui sont capables de concevoir et de bâtir des projets fondateurs pour un nouveau Maroc.
Ainsi, la principale solution se trouve dans le capital humain du Maroc. Il faut absolument intégrer dans l’économie les petits porteurs de projet et avant tout ceux qui sont capables et qui ont envie de construire des projets dans la technologie et le digital. La micro-entreprise, axée sur les domaines de la technologie et le digital, va apporter un nouveau souffle à notre écosystème, puisque ces petits porteurs de projet vont concevoir des sauts technologiques qui seront la clé du développement des nouveaux business qui vont fondamentalement dépendre de la digitalisation, mais pas de ce que la presse européenne appelle « l’uberisation » consistant pour l’essentiel en une jungle dérégulée. Autonomie et pérennité doivent aller de pair afin de ne pas précariser une société déjà fragile et en proie à un sentiment d’abandon parfois destructeur.

Propos recueillis par Zineb Alaoui

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