Alassan Sakho. “Afric Links : Transformer l’événement sportif en accélérateur de flux économiques”

Alassan Sakho
PDG de Kalimo Consulting Group et initiateur d’Afric Links
La CAN 2025 n’est pas seulement une compétition : c’est une plateforme de narration stratégique. C’est dans ce cadre que Casablanca a abrité le forum Afric Links. Et il y était question de business et de sport. Interview avec son initiateur et PDG de Kalimo Consulting Group, Alassan Sakho.
Pourquoi avoir choisi d’organiser cet événement continental au Maroc ?
Le choix du Maroc, et plus précisément de Casablanca, n’est ni circonstanciel ni symbolique. Il est stratégique. Casablanca est aujourd’hui l’un des rares espaces africains où convergent vision politique, crédibilité financière, profondeur institutionnelle et ouverture continentale. Organiser Afric Links ici, dans le contexte de la CAN 2025, relevait d’une évidence géo-économique. Le Maroc a fait du sport – et du football en particulier – un levier assumé de projection économique, d’influence et de diplomatie.
La CAN 2025 n’est pas seulement une compétition : c’est une plateforme de narration stratégique, un moment où l’Afrique se regarde, s’évalue et se projette. Afric Links s’inscrit exactement dans cette dynamique : transformer l’événement sportif en accélérateur de flux économiques, en catalyseur de partenariats B2B et en espace de décisions concrètes.
Donc Casablanca était pour vous le meilleur endroit pour organiser cette manifestation ?
Casablanca, en tant que place financière panafricaine, offre ce que peu de capitales africaines réunissent simultanément : stabilité macroéconomique, écosystème financier mature, connectivité internationale, sécurité juridique et capacité d’ingénierie de projets.
Notre ambition n’était pas d’organiser un forum de plus, mais de poser un acte politique et économique fort : démontrer que l’Afrique peut penser, financer et structurer ses propres chaînes de valeur, à partir de ses hubs les plus crédibles. Afric Links porte une philosophie claire : connecter l’Afrique à elle-même avant de la connecter au reste du monde. Le Maroc, par son positionnement atlantique, africain et euro-méditerranéen, incarne cette articulation mieux que tout autre territoire aujourd’hui.
Quelles sont les principales conclusions issues de cet événement ?
La conclusion est sans appel : l’Afrique ne manque ni d’opportunités ni d’acteurs, elle manque de mécanismes de connexion efficaces. Afric Links a mis en lumière une réalité souvent sous-estimée : les décideurs africains sont prêts, les projets existent, les capitaux sont disponibles, mais les passerelles restent fragmentées. L’enseignement montre aussi que le sport n’est plus un secteur périphérique.
Il est désormais reconnu comme une industrie à part entière, transversale, capable d’irriguer les finances, l’immobilier, le tourisme, le digital, les médias et les infrastructures. Les échanges ont montré que le sport africain doit sortir de la logique événementielle pour entrer dans une logique d’écosystème, structurée, bancable et gouvernée.
Cependant, le forum a confirmé une mutation profonde : la diplomatie économique africaine devient pragmatique. On parle moins de discours et davantage de montages financiers, de cadres juridiques, de partage de risques, de modèles de gouvernance.
Afric Links a permis de faire dialoguer institutions, investisseurs, opérateurs privés et experts autour d’un langage commun : celui de la valeur créée et partagée. Enfin, une conviction forte s’est imposée : le temps des dépendances est révolu. Les partenariats recherchés sont désormais équilibrés, Sud-Sud, orientés résultats. L’Afrique ne demande plus la permission de se développer ; elle organise ses propres plateformes. Afric Links a transformé des intentions africaines en convergences africaines.
En termes de partenariats économiques Sud-Sud, que faut-il attendre des résultats de ce forum ?
Il faut d’abord dépasser l’illusion des annonces spectaculaires. Afric Links n’est pas un forum de déclarations, c’est un forum d’architecture. Les résultats attendus sont donc structurels, progressifs et durables. Concrètement, plusieurs dynamiques sont enclenchées.
D’abord, la mise en relation directe d’acteurs africains autour de chaînes de valeur sport-finance-infrastructures. Ensuite, l’émergence de projets co-construits impliquant plusieurs pays africains, avec des logiques de co-financement, de mutualisation des expertises et de partage des revenus.
Le Sud-Sud que nous portons n’est pas idéologique. Il est opérationnel. Il repose sur des complémentarités réelles : capital marocain, marchés ouest-africains, expertise nord-africaine, talents subsahariens, hubs logistiques régionaux. Afric Links agit comme un courtier stratégique de confiance, capable d’aligner ces intérêts sans les diluer.
À moyen terme, nous anticipons la naissance de plateformes africaines d’investissement sectoriel, notamment dans le sport business, le tourisme sportif et les industries créatives. Ce sont ces plateformes, et non des accords isolés, qui feront la différence.
Quel regard portez-vous sur le modèle marocain sur le plan sportif, et surtout en tant qu’exemple pour d’autres pays du continent ?
Le modèle marocain est aujourd’hui l’un des plus aboutis du continent, non pas parce qu’il est parfait, mais parce qu’il est cohérent. Il repose sur une vision de long terme, une volonté politique claire et une exécution méthodique. Le Maroc a compris que le sport est un investissement stratégique, pas une dépense. Les infrastructures, la formation, la gouvernance fédérale, l’attractivité des événements internationaux et l’articulation avec l’économie réelle ont été pensées comme un tout.
La performance sportive n’est que la partie visible d’un édifice beaucoup plus large. Ce modèle est transposable, à condition de ne pas le copier mécaniquement. Chaque pays africain doit adapter cette logique à sa propre réalité.
Ce que le Maroc offre au continent, ce n’est pas une recette, c’est une méthode : vision, institutionnalisation, partenariat public-privé et ouverture africaine. Afric Links s’inscrit précisément dans cette logique de diffusion intelligente des modèles qui fonctionnent, sans arrogance ni mimétisme aveugle. Le Maroc montre que le sport peut être une politique économique. L’Afrique doit désormais en faire une stratégie continentale.
Selon vous, comment renforcer le rôle du sport dans l’essor économique du continent ?
La condition est de changer de regard. Tant que le sport sera perçu uniquement comme un divertissement ou un enjeu de prestige, il restera sous-exploité. Il faut le traiter comme une industrie stratégique, avec des chaînes de valeur, des KPI, des modèles économiques et une gouvernance rigoureuse. Mais, il est impératif d’investir dans l’infrastructure immatérielle : droit du sport, financement structuré, formation des managers, data, marketing, propriété intellectuelle.
L’Afrique produit des talents sportifs exceptionnels, mais importe encore la majorité de la valeur économique qu’ils génèrent. Le sport peut structurer des territoires, attirer des investissements, créer des emplois qualifiés et renforcer l’image des pays. Il doit être pensé en synergie avec le tourisme, l’urbanisme, la jeunesse et l’innovation. Toutefois, il faut créer des plateformes africaines comme Afric Links, capables de connecter les mondes qui ne se parlent pas : sportifs et financiers, États et investisseurs, talents et marchés.
Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO






