CDN 3.0 version 2025 : comment se décline la révolution dans la gouvernance et le financement de l’action climatique

Dès 2026, toutes les propositions budgétaires des ministères marocains devront être assorties d’objectifs et d’indicateurs de performance climatiques, conformément à la Circulaire n°5/2025, afin de concrétiser les ambitions de la CDN 3.0.
La soumission par le Maroc de sa troisième Contribution déterminée au niveau national (CDN 3.0, version 2025) pour la période 2026-2035 marque un tournant décisif dans l’opérationnalisation des ambitions climatiques du Royaume. Les détails de ses stratégies financières et de gouvernance révèle un plan systémique dont les implications concrètes pour l’ensemble des acteurs économiques nationaux sont profondes et immédiates.
À commencer par le secteur privé, pilier indispensable et structuré. La réussite de la CDN 3.0 repose impérativement sur le financement privé, la stratégie reconnaissant explicitement que «la seule mobilisation des financements publics ne sera pas suffisante pour concrétiser les ambitions». La réponse institutionnelle s’incarne dans la «Stratégie de développement de la finance climat à l’horizon 2030» (SDFC), articulée autour de trois piliers stratégiques et neuf axes d’action clés. Un cadre opérationnel qui redéfinit l’écosystème économique pour les porteurs de projets, investisseurs et institutions financières.
Pour les premiers, l’objectif est de créer un environnement favorable en améliorant la transparence sur la demande de financement climatique, facilitant ainsi l’identification de projets «bancables», tout en renforçant la promotion des instruments financiers verts et en complétant l’offre prise existante. Une volonté de «faciliter l’identification de projets attractifs pour les investisseurs privés» qui vise à réduire les asymétries d’information et les coûts de transaction, avec le futur Groupe de travail «Finance climat» servant de plateforme centrale pour la maturation des projets et le rapprochement entre acteurs.
Pour les institutions financières (banques, assureurs, gestionnaires d’actifs), les exigences se durcissent significativement : l’axe 6 impose un «renforcement de la gestion des risques climatiques au sein des régulateurs et des opérateurs», tandis que l’axe 7 accélère «la définition et le déploiement d’une taxonomie et des exigences en matière de gestion de données». Une double pression réglementaire—intégration des risques physiques et de transitionnels dans les modèles, et alignement sur une taxonomie verte— qui exigera des investissements massifs en renforcement des capacités (axe 8), faisant de la résilience climatique du secteur financier un impératif explicite.
Enfin, pour l’ensemble des acteurs économiques, l’axe 4 prévoit d’«inciter et de réglementer pour encourager l’adoption d’instruments de financement climatique», tandis que l’axe 9 plaide pour des politiques sectorielles et fiscales favorables stimulant la demande. Le développement de mécanismes de partage des risques (axe 5) élargira quant à lui l’éligibilité des projets au financement privé, créant un paysage incitatif mais contraignant.
La tarification carbone : un signal-prix structurant
Positionnée comme «au cœur de l’approche marocaine», la tarification carbone agit comme un levier différencié selon les secteurs. La taxe carbone nationale, bien qu’en «cours de réflexion», constitue un signal politique fort visant explicitement à attribuer un coût aux émissions de CO2 pour inciter les acteurs économiques à adopter des pratiques moins carbonées.
Son design prévoit une progressivité adaptée aux secteurs exposés au Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), notamment le ciment et les phosphates, révélant une préoccupation stratégique pour leur compétitivité internationale. Une approche graduelle—pouvant inclure des compensations— qui entraînera une augmentation programmée du coût des émissions pour ces industries, tout en évitant les fuites de carbone et en assurant une transition socialement acceptable.
Parallèlement, le Maroc mise sur les marchés carbone pour compléter son dispositif. L’opérationnalisation de l’article 6 de l’Accord de Paris (mécanismes 6.2 et 6.4) est mobilisée pour mobiliser des financements nouveaux et additionnels, tandis qu’un marché carbone volontaire national se structure activement.
Une dualité qui offre aux projets éligibles (énergies renouvelables, efficacité énergétique, agriculture durable) des opportunités de valorisation de leurs réductions d’émissions au-delà du cadre fiscal, imposant aux entreprises porteuses de tels projets une préparation technique et méthodologique pour en tirer pleinement les bénéfices.
Alignement
L’innovation la plus structurante de la CDN 3.0 réside dans son alignement contraignant avec la Programmation budgétaire triennale (PBT) 2026-202-2028, une avancée inédite pour un pays en développement. Un ancrage institutionnel qui transforme radicalement la gouvernance financière climatique.
Pour l’Administration publique, la circulaire n°5/2025 du Chef du gouvernement impose désormais que toutes les propositions budgétaires ministérielles soient «assorties des objectifs et des indicateurs de performance» climatiques, intégrant formellement les engagements CDN dans la planification et l’exécution budgétaire.
Une obligation qui s’applique à un périmètre exhaustif couvrant les secteurs d’adaptation (eau, agriculture, santé, zones côtières, etc.) et d’atténuation (industrie, transport, énergie, déchets), plaçant la charge de la preuve et du reporting climatique sur les administrations concernées, avec un suivi explicite des engagements «relevant d’un financement du Budget général». Pour les acteurs économiques bénéficiaires de fonds publics, cet alignement assure une cohérence immédiate et pluriannuelle des moyens mobilisés, offrant une visibilité et une prévisibilité accrues sur les enveloppes climatiques.
Toutefois, il renforce simultanément les exigences de redevabilité : les projets devront systématiquement démontrer leur contribution aux objectifs CDN par des indicateurs de performance quantifiables, transformant l’accès aux financements publics en un mécanisme conditionné à la preuve d’impact.
Enfin, pour la crédibilité internationale et les investisseurs, ce modèle consolide la position du Maroc comme pionnier des économies émergentes. Il renforce la crédibilité internationale de la CDN 3.0 en attestant auprès des partenaires financiers que les engagements reposent sur une réelle capacité de mobilisation de ressources internes.
Un cadre institutionnel, qualifié de «modèle de gouvernance financière compatible avec le climat», qui démontre la capacité du Royaume à concilier ambition climatique, crédibilité budgétaire et transparence et à financer et suivre ses engagements de manière responsable, positionnant explicitement le Maroc comme «l’un des premiers pays en développement à développer une gouvernance financière adaptée aux enjeux climatiques». Une intégration budgétaire systémique qui inscrit la transition climatique au cœur de la souveraineté financière nationale.
Un cadre exigeant et opportuniste
Ainsi, la CDN 3.0 version 2025 du Maroc ne se contente pas d’énoncer des ambitions ; elle détaille une feuille de route institutionnelle et financière exigeante. La révolution réside dans l’intégration systémique du climat au cœur des mécanismes financiers (publics et privés) et de la gouvernance budgétaire.
Pour les entreprises, le message est clair : la transition climatique n’est plus un horizon lointain ou optionnel. Elle se traduit dès 2026 par une réglementation renforcée, un signal-prix sur le carbone, une exigence accrue de transparence et de gestion des risques, et un accès conditionné aux financements publics.
Parallèlement, elle ouvre des opportunités significatives dans le financement vert, les marchés carbone et les projets alignés sur les priorités nationales structurées par la SDFC et l’alignement budgétaire.
Le Maroc mise sur une transformation profonde de son économie, plaçant la rigueur financière et la mobilisation du secteur privé comme pierres angulaires de sa crédibilité climatique internationale. La mise en œuvre concrète de cette architecture complexe constituera le prochain test décisif.
Bilal Cherraj / Les Inspirations ÉCO