Sans PME, pas de souveraineté industrielle

Derrière les milliards de dirhams d’investissements annoncés dans l’hydrogène vert, un autre enjeu émerge, celui de l’appropriation industrielle. Le Maroc ne pourra bâtir une filière durable sans activer pleinement son tissu de PME, de startups technologiques et de centres de R&D. Encore faut-il créer les conditions économiques, techniques et financières pour faire émerger un écosystème local robuste, capable de transformer une ambition énergétique en levier de souveraineté industrielle.
Le Maroc mise sur l’hydrogène vert pour se positionner en tête de la transition énergétique mondiale. Mais encore faut-il que cette ambition se traduise par une structuration industrielle nationale inclusive. Pour Badr Ikken, Managing Partner du cabinet de transition énergétique Gi2 et président du conseil d’affaires Maroc-Allemagne de la CGEM, la réussite passera nécessairement par l’implication des PME, des startups et des centres de R&D marocains.
Une dynamique à ne pas confier aux seuls majors
L’essor de la filière hydrogène vert au Maroc ne pourra pas s’appuyer uniquement sur les grandes compagnies internationales. Si les consortiums sélectionnés dans le cadre de l’«Offre Maroc» sont essentiels pour lancer les premiers projets à grande échelle, la viabilité du modèle à long terme repose sur la constitution d’un tissu industriel local dense et compétitif.
«Le développement de la filière H₂/NH₃ au Maroc ne pourra pas reposer uniquement sur des majors ou des filiales internationales. Il devra s’appuyer sur un réseau de PME industrielles, d’ingénieries locales et de startups innovantes», affirme Badr Ikken.
PME et grands groupes, les deux jambes d’une filière pérenne
Cette intégration locale est d’autant plus cruciale qu’elle figure désormais parmi les conditions de l’«Offre Maroc» et de la nouvelle charte d’investissement. Cela incite mécaniquement les développeurs à rechercher des partenaires nationaux. À la clé, un effet d’entraînement massif, alliant structuration sectorielle et montée en compétences. D’un côté, les grandes industries marocaines, dans le BTP industriel, la métallurgie, la chimie ou l’énergie, seront appelées à jouer un rôle de locomotive.
«Elles pourront porter les investissements lourds : fabrication de modules photovoltaïques, électrolyseurs, tours d’éoliennes, cuves de stockage ou transformateurs haute tension», souligne Badr Ikken.
En tirant derrière elles un écosystème de sous-traitants, elles permettront à de nombreuses PME de s’insérer dans des chaînes de valeur stratégiques.
Des niches à conquérir pour les PME et les startups
L’intégration ne se limite pas aux équipements lourds. Les PME marocaines ont une carte à jouer sur des segments de spécialisation ciblés : ingénierie, automatisation industrielle, traitement d’eau, robotique, services de maintenance, instrumentation…
Autant de niches où l’agilité et la technicité locale peuvent s’avérer décisives. À titre d’exemple, une PME développant des pompes à haut rendement ou des vannes cryogéniques certifiées peut rapidement devenir un fournisseur référencé dans un projet hydrogène. Et les opportunités ne s’arrêtent pas là.
Les startups technologiques marocaines, notamment dans l’intelligence artificielle appliquée, les jumeaux numériques pour la supervision industrielle ou encore la cybersécurité énergétique, peuvent s’imposer dans les fonctions transversales, à condition que des passerelles soient créées avec les grands donneurs d’ordres.
Un écosystème déjà en ébullition
Plusieurs industriels marocains disposent déjà de l’expérience et des capacités nécessaires pour jouer un rôle clé. Badr Ikken donne des exemples dans la métallurgie et la fabrication d’équipements lourds, des groupes comme Sonasid, Maghreb Steel, Riva Industries ou Mafoder sont capables de produire des structures, réservoirs, tubes ou tours d’éoliennes.
Du côté des équipements électriques, des entreprises telles que Energy Transfo, Beltransfo, Centrelec, Ingelec, Nexans Maroc ou Fabrilec peuvent contribuer à l’assemblage de transformateurs, de tableaux électriques ou de câbles HT/MT. Dans la filière solaire photovoltaïque, des sociétés comme Jet Energy ou AdiWatt, spécialisée dans les structures de montage, participent déjà à la chaîne d’approvisionnement et sont appelées à monter en puissance à mesure que la demande s’intensifie.
Un environnement financier à adapter en urgence
Mais pour que cette dynamique industrielle s’active, encore faut-il lui fournir les bons leviers de financement. «Sans ajustement de l’environnement financier, le potentiel industriel identifié risque de rester en grande partie théorique», alerte Badr Ikken.
Il plaide pour la création d’une banque de développement nationale dédiée à la transition énergétique, un renforcement du rôle des banques internationales de développement, la création de fonds ciblés pour financer le besoin en fonds de roulement, ainsi qu’un accès facilité à la commande publique pour les PME. La consolidation des mécanismes d’avance sur marché est également indispensable, en particulier pour les TPE industrielles locales.
Industrialiser pour ancrer la souveraineté énergétique
En résumé, le succès de la stratégie hydrogène marocaine ne se mesurera pas uniquement à la quantité d’énergie produite ou aux volumes exportés. Il se jouera dans la capacité à faire émerger une filière industrielle ancrée localement, qui crée de l’emploi qualifié, du contenu technologique et de la valeur ajoutée durable.
«L’enjeu n’est pas de tout produire localement, mais de maîtriser des maillons clés, de renforcer notre autonomie technologique et de faire du Maroc une plateforme industrielle verte, compétitive et souveraine», conclut Badr Ikken.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO