Culture

Paris: Rétro exceptionnelle du photographe malien Seydou Keïta

Par Olivier Rachet

Un autodidacte passionné

Seydou Keïta est un photographe malien, né aux alentours de 1921, à Bamako, alors capitale du Soudan français. Le pays acquerra son indépendance, en 1960 ; le Soudan français deviendra alors la République du Mali. Issu d’une lignée illustre remontant à la fondation même de l’Empire du Mali, au XIII e siècle de notre ère, Seydou Keïta s’est initié à la photographie et à la technique du tirage auprès de son aîné Mountaga Dembélé, instituteur photographe engagé dans l’armée coloniale. En 1948, Seydou ouvre un studio qui fera très vite sa renommée.

L’art du portrait


Sa prédilection va aux portraits de ses contemporains, toutes classes sociales confondues. Mais vient en affluence fréquenter son studio une jeunesse émancipée, souvent issue de la bourgeoisie locale. Le succès du photographe provient des nombreux accessoires qu’il met à disposition de ses modèles : costumes européens, chapeaux, vespas, transistors ; tout l’attirail d’une modernité qui commence à accéder au statut iconique de la représentation, notamment grâce à l’essor du cinéma américain. Beaucoup de jeunes hommes prennent ainsi la pose, toisant la caméra, une cigarette aux bords des lèvres, le chapeau légèrement incliné, une main nonchalamment enfouie dans la poche ; souvenir du personnage de Lemmy Caution, incarné par Eddie Constantine, dans des films noirs des années 50.

Rompre avec l’imagerie coloniale

Ce qui frappe le spectateur dans ces tirages argentiques modernes, réalisés de 1993 à 2011, est la fulgurante beauté de l’ensemble de ces portraits. La mise à disposition d’accessoires permet d’individualiser chaque photographie. Le choix des poses souligne lui aussi la nouveauté d’un regard qui, plus ou moins consciemment, cherche à rompre avec les codes de l’ère coloniale. « Là où les « indigènes » étaient représentés frontalement, en tant qu’échantillons anthropologiques d’une tribu ou d’une catégorie de population, Keïta privilégie les poses de trois-quarts et la diagonale pour magnifier des personnes et non pas des sujets », précise la plaquette de l’exposition. « J’avais exposé sur les murs de mon studio, précise le photographe, beaucoup de modèles et d’échantillons des photos que j’avais faites : homme ou femme en buste, seul ou à deux, entre amis ou en famille, debout, assis ou allongé… Le portrait en buste de biais, c’est moi qui l’ai inventé. »

Un noir et blanc flamboyant

L’utilisation du noir et blanc amplifie, de son côté, la splendeur des motifs des costumes traditionnels, des tentures faisant office de toile de fond ou posées à même le sol. Chaque photographie semble être le négatif d’un réel flamboyant et coloré qui innerve le regard ébloui du spectateur. C’est déjà l’histoire ancestrale de tout un peuple, les traditions séculaires de tout un pays qui, en accédant en 1960 à son indépendance, retrouvera la fierté d’appartenir à un des plus vieux empires du continent africain, célébré sans ostentation par Seydou Keïta.

Se réapproprier l’Histoire

Le regard du photographe est bien ici visionnaire. Les femmes surtout semblent trôner comme les gardiennes de la tradition, les sentinelles d’une Histoire qui ne demande qu’à accéder au statut de la représentation. Telles ces co-épouses qui ouvrent l’exposition, entremêlant délicatement leurs doigts ou celles qui posent, allongées, en position d’odalisques, comme pour se réapproprier un motif orientaliste en le détournant et en s’affranchissant ainsi de plusieurs siècles de domination du regard européen. Cette pose, alors très prisée, contribua grandement à la renommée du photographe. La rétrospective du Grand Palais, absolument fabuleuse, comporte aussi toute une série de tirages d’époque dits « vintages », réunis pour la première fois dans le cadre d’une exposition. Ces photographies patinées par le temps, certaines partiellement colorisées, sont plus que tout émouvantes. Elles nous rappellent à la fois la fragilité du temps et l’importance du geste photographique qui nous protège, toujours quelque peu, de l’oubli.

Cette exposition a lieu au Grand Palais jusqu’au 11 juillet 2016.

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