Culture

Paris: Les artistes marocains investissent la Grande halle de la Villette

Dans le cadre de l’exposition Afriques capitales curatée par Simon Najmi, de nombreux artistes marocains voient leur travail sous les feux de la rampe.

Par Olivier Rachet

En ces temps de repli sur soi où les individualismes nationaux triomphent, convier les spectateurs en plein cœur d’un 19ème arrondissement parisien fier de son brassage ethnique et culturel est déjà une initiative à saluer. Placer la création contemporaine africaine sous les feux des projecteurs, à travers une efflorescence d’artistes venus aussi bien du Maroc que du Kenya, du Soudan, de l’Egypte ou de l’Afrique du Sud, relève moins d’un effet de mode passager que d’un engouement pour une scène artistique en pleine ébullition.

Simon Najmi, le commissaire de l’exposition, met le focus sur les villes africaines dont la structuration innerve l’agencement spatial de la Grande halle de la Villette. « Notre pari, écrit-il, a été d’inventer la ville de toutes les villes. Une ville qui n’appartiendrait à personne, mais dans laquelle chacun pourrait trouver des repères qui lui soient personnels. » Différents espaces d’exposition cohabitent ainsi les uns avec les autres, avec en toile de fond une sculpture monumentale de l’égyptien Nabil Boutros, où l’on voit un nuage gigantesque composé de sacs en plastique traverser un fil de fer barbelé. Intitulée « Un rêve », cette installation dit à la fois l’utopie d’une ville-monde unifiée et la porosité de frontières constitutives de nos identités respectives.

Habiter le monde

Avant de pénétrer dans le lieu même de l’exposition, le visiteur est invité à se détendre dans le salon imaginé par l’artiste marocain Hassan Hajjaj dont de nombreux portraits ornent les murs. Cette installation faite d’objets de récupération ramenés du Maroc brille par les couleurs flashy qui sont la marque de fabrique d’un photographe brassant des références aussi diverses que le reggae, le hip-hop ou les traditions artisanales marocaines. Ne vivons-nous pas déjà dans ce monde bariolé, ouvert à tous les métissages contrairement à ce que beaucoup d’esprits frileux laissent entendre ? De nouvelles formes de civilité ne se développent-elles pas au contact des autres cultures qui se nourrissent les unes les autres plus qu’elles ne s’affrontent dans un phantasmatique et paranoïaque choc des civilisations ?

salon _ hajjaj

L’artiste kenyane Ato Malinda nous offre une belle leçon d’humanisme en présentant une pièce interactive composée de cartes à jouer représentant chaque pays africain que le spectateur est invité à déposer sur le pays adéquat. Réalisée lors de la célébration du 125ème anniversaire de la Conférence de Berlin au cours de laquelle les puissances coloniales se partagèrent le continent africain, cette installation est souvent prise d’assaut par les jeunes collégiens et lycéens de la région parisienne, dont les familles sont issues de ce continent. Comme on a pu s’en émerveiller le jour de la visite, les connaissances de ces jeunes français auraient de quoi faire rougir un électeur du Front National !

Tragédies post coloniales

Nombreuses sont les œuvres à représenter le chaos de ce XXIème siècle débutant. Entre les drames des migrants auxquels s’intéressent la photographe aujourd’hui disparue Leila Alaoui, dans une installation vidéo intitulée Crossings et le vidéaste français Alexis Peskine dans une relecture iconoclaste du Radeau de la Méduse de Géricault, et les guerres contemporaines dont le plasticien malien Abdoulaye Konaté donne à voir le spectacle sanglant, les bruits et les fureurs de l’Histoire se rappellent à notre mémoire.

Leila-Alaoui alexis-peskine--1024x576 Abdoulaye-Konate_Alep-2017

Nous montons quelques marches pour accéder alors à une installation vidéo du sud-africain William Kentridge qui, à travers huit écrans de projection met en scène une lente procession où défile, sous formes d’images d’animation et de prises de vue réelles, toute l’histoire d’un continent tanguant entre l’exil et la résistance aux oppressions de toutes sortes. Pièce maîtresse de cette exposition, More Sweetly Play the Dance fascine tout autant par son inventivité visuelle que par son rythme lancinant. Danser pour éloigner les esprits mauvais ou pour aller de l’avant ? Le spectateur se fera sa propre idée.

kentridge

Que reste-t-il alors en mémoire d’une telle profusion d’œuvres aussi inventives les unes que les autres ? Des images à la fois désolantes telles ces photos d’Antoine Tempé, vivant à Dakar, dont Débris de Justice montre le délabrement du Palais de Justice de la capitale sénégalaise ; d’autres images plus jubilatoires telles que les photographies de Safaa Mazirh célébrant à travers un corps en mouvement des rituels dont on ne sait s’ils sont sacrés ou profanes ou bien les images délirantes de la vidéaste casablancaise Fatima Mazmouz mettant en scène dans Super Oum et Le Corps Pansant une grossesse devenue objet de dérision.

Mais on s’arrêtera pour finir sur l’installation vidéo de la franco-algérienne Katia Kameli mettant en scène, dans The Storyteller, le conteur marrakchi Abderahim Al Azalia donnant à entendre une interprétation toute personnelle de l’univers cinématographique bollywoodien. En immortalisant la figure du hlaïqya, animant les halqas, ces cercles de spectateurs entourant les conteurs sur la place Jamaa El Fna, la vidéaste magnifie ce que la scène artistique africaine apporte à l’art contemporain : une mise en tension entre une grande inventivité formelle et un souci permanent des traditions orales et visuelles de peuples amenés à faire entendre leur voix dans le concert parfois disharmonieux des nations.

katia kameli


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