Chroniques

Diplomatie marocaine: le temps du réalisme et des réajustements

par Boubker BENDINE TAOUFIK

Consultant média et diaspora

Tout porte à croire que 2018 sera une année décisive pour les diplomaties marocaines, officielle, civile, parlementaire, économique, sportive ou culturelle. D’abord il y a la rencontre avec M Horst Köhler envoyé personnel du Secrétaire Général des Nations Unis et les discussions pour intégrer la CEDEAO. Et puis il y a eu ce verdict, très prévisible, tombé le mardi 27 février. L’accord de pêche conclu entre l’UE et le Maroc n’est pas applicable aux eaux adjacentes de la région du Sahara.  Car, selon la Cour de justice de l’Union Européenne,  l’inclusion du territoire dans le champ d’application de l’accord  «enfreindrait plusieurs règles du droit international». Une véritable remise en cause de la souveraineté du Maroc sur ce territoire.

De l’influence diplomatique de société civile


Ni l’affaire du journaliste Bouachrine, ni les éléments de langage et l’argumentaire des officiels marocains ou le traitement de l’arsenal médiatique national, plus épris pour des histoires de mœurs et de faits divers, n’ont pu amortir ou minimiser le choc de l’annonce. Le contraire aurait été dramatique puisqu’il aurait pu indiquer à l’Europe et aux détracteurs du royaume que la question de l’intégrité territoriale n’était plus une priorité de l’opinion nationale.  Et, par conséquent, aurait pu  laisser entendre que la cause nationale n’était  une ligne rouge que pour les dirigeants. Ce qui affaiblirait les négociateurs marocains lors des prochaines discussions pour la reconduite de l’accord dans une ambiance feutrée par les contretemps de Transavia et l’ombre des amis de José Bové.

L’effet du revers sur l’opinion est d’autant plus grand que la plainte émanait d’un simple citoyen britannique, membre de l’organisation non gouvernementale Western Sahara Campaign (WSC).   Il succède à la déroute de la jeunesse socialiste de l’USFP au Monténégro.  Ceci révèle à quel point la diplomatie marocaine a longtemps sous-estimé l’impact de la société civile hostile et de son influence sur le volet juridique, voire même, politique. Elle a également échoué dans son approche visant l’émergence d’une vraie diplomatie parallèle ou de proximité. La rareté d’actions productives et mesurables face aux initiatives civiles en soutien au Polisario, qui se multiplient lors de rencontres internationales ou du Forum Social Mondial, dictent l’urgence d’une refondation de la stratégie et l’obligation de mobiliser et de qualifier des acteurs plus efficaces.

On ne peut promouvoir la vision marocaine à l’international avec un lexique désuet, des outils dépassés ou mal conçus, des militants sans ancrage, voire, des fois, des troupes folkloriques. Le recadrage nécessaire de la diplomatie dite parallèle supposera une évaluation complète pour élaborer une nouvelle approche,  loin des rentiers ou des parasites,  et pour en finir avec les gaspillages et les approximations.  Cela n’est possible que dans le cadre d’une dynamique globale initiée par  la diplomatie officielle revue et adaptée, en complémentarité avec toutes les autres formes d’actions n’excluant pas les diplomaties civile des marocains du monde et numérique et mettant l’Afrique au cœur du dispositif.

Une autre diplomatie également pour l’Afrique

Face à cette tension dans les relations avec l’Union Européenne,  la diplomatie marocaine a réussi une percée par le retour à l’Unité Africaine. Mais la lenteur de la procédure d’intégration à la CEDEAO et la cohabitation inévitable avec les représentants officiels de la RASD ne font que nourrir l’afro-scepticisme ambiant. La photographie réunissant les chefs d’État participant au 5e sommet Union africaine-Union européenne (UA-UE) qui a eu lieu, à Abidjan, les 29 et 30 novembre révèle la gêne occasionnée par cette proximité que les adversaires voudraient voir comme une reconnaissance. L’analyse formelle et objective ne peut ignorer le jeu de regards recherchés ou ignorés entre le représentant du Polisario et le Roi Mohammed VI.

Le regard scrutateur de Brahim Ghali pendant tout le sommet, comme pour affirmer sa présence,  ne parviendra jamais à croiser celui du souverain. La reconnaissance visuelle n’aura pas lieu. Ce qui fera dire à Nasser Bourita, ministre marocain des affaires étrangères : « la RASD est invisible pour le Maroc ». Cette image, comme les échecs des multiples réunions informelles de Manhasset,  résume l’histoire psychologique et tactique des quarante-deux années du conflit du Sahara, et en dit long sur les défis futurs de la diplomatie marocaine.

En somme,  le challenge de la diplomatie marocaine en Afrique et dans le reste du monde exige un diagnostic de l’arsenal existant afin d’établir un bilan et d’envisager une optimisation des performances par la modernisation du ministère, l’adaptation à la numérisation et l’adéquation avec les nouvelles réalités géopolitiques. Cependant, moderniser ne veut pas dire seulement réformer voire « dégraisser ».  La capitalisation sur les valeurs sûres sera impérative avant d’insuffler toute nouvelle dynamique inclusive.

Le temps de la synergie et de la complémentarité

C’est le temps des synergies et de l’intelligence entre les diplomaties officielle, civile,  parlementaire,  économique,  culturelle et sportive… Il est révolu le temps des non-dits devenus presque interdits. Le contexte requiert des ambassadeurs offensifs, proactifs et ouverts aux initiatives et des consuls en rupture avec le chef de poste purement administratif désireux de boucler paisiblement son affectation, divisant souvent la société civile marocaine du monde, privilégiant les petites besognes, négligeant la représentation, la promotion des intérêts du royaume et la recherche de partenariats économiques et culturels.

Les ambassades et les consulats sont les fers de lance de toute stratégie diplomatique. Les succès de celle-ci dépendent généralement de l’intégrité, des compétences et des initiatives des chancelleries. Le rayonnement diplomatique ne pourrait se produire par  des ambassades et des consulats secoués par des malversations ou des dysfonctionnements, survenus il y a peu à Madagascar, Orly, Milan ou Turin, et pourtant pointés sans équivoque par Sa Majesté le Roi Mohammed VI lors de son discours du Trône du 30 juillet 2015. Et encore moins par certains acteurs de la société civile mais souvent, inopérants ou infructueux dans le domaine de la diplomatie parallèle.

Pour l’émergence d’une diplomatie participative responsable

L’Afrique est passée en quelques décennies du continent délaissé à un espace convoité. Les africains  y rêvent plus que jamais de souveraineté et d’indépendance économique. Les traces des siècles de traite négrière, du pillage des richesses et de la domination des puissances coloniales sont toujours là. De la Chine, à  la Russie, la Turquie ou à l’Inde, les pays émergents se sont adaptés à cette réalité  et tenu des discours de fraternité, de confiance mutuelle et de partage du savoir. Face à cette rude concurrence, et avec un vrai Ministère de l’Afrique et des Affaires Étrangères, le Maroc, mettant en conformité discours et actes, et tenant comptes des aspirations de tout un continent en devenir, pourra trouver sa place parmi les nations émergentes du continent.

Pour la diplomatie d’un pays africain dans l’âme, le continent n’est pas un marché à conquérir mais, avant tout, un espace d’avenir, de solidarité et de destin commun. Mais l’Afrique n’est pas seulement celle des chefs d’État. C’est l’Afrique des peuples, des sociétés civiles et des diasporas dont l’influence et le rôle sont grandissants. Gageons sur une nouvelle approche qui corrige les erreurs commises en Europe, en considérant, à sa juste valeur, l’impact des marocains du monde en Afrique et dans les pays européens où vit une importante diaspora originaire du continent noir. Gageons surtout sur une rupture avec le foisonnement de certains think tank, coûteux,  improductifs et sans effets qui ont conduit à une diplomatie parallèle désastreuse. Il est urgent œuvrer pour l’émergence d’une vraie diplomatie participative, opérationnelle et mesurable. Car le temps est grave.

Boubker BENDINE TAOUFIK

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